Réalités socio-historiques et manipulations (Par Yoro Dia)

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Nous sommes le seul pays musulman à plus de 90% à avoir eu un Président catholique pendant 20 ans. Nous sommes aussi le seul pays à avoir une rébellion dirigée par un prêtre issu de la minorité catholique pendant plus de deux décennies, sans aucune stigmatisation contre son ethnie ou sa religion. Nous sommes le pays où Barthélemy Dias a remplacé Soham Wardini à la tête de la ville de Dakar. Nous sommes le pays au monde où l’alternance à la tête de la capitale se fait entre deux personnes issues de minorités sans que non seulement cela fasse l’objet de débat mais que cela passe inaperçu parce que tout à fait normal, parce que nous avons transcendé la question identitaire et ses pièges. Nous sommes le Sénégal, une chance et un phare pour le continent.

Dans un tel pays, la manipulation identitaire fondée sur l’ethnicisme est un anachronisme. Nous sommes le pays où Senghor le catholique a gouverné pendant 20 ans avec le soutien absolu des confréries musulmanes. Nous sommes le pays où le cardinal Thiandoum a témoigné publiquement et par écrit son estime et son soutien à Mamadou Dia lors du procès que lui a intenté Léopold Senghor, après avoir exigé sa libération pendant toute sa détention. Nous sommes aussi le pays qui n’a pas dérivé malgré les douze ans de confrérisme d’Etat de Wade. Les entrepreneurs politico-identitaires perdent leur temps parce que la tolérance et l’harmonie identitaire ont des racines socio-culturelles qui transcendent la politique et la volonté de l’Etat.

Le génie politique de Senghor a surtout consisté à s’y appuyer pour en faire un levier de sa gouvernance. Même le Mfdc à ses origines, avait tenu compte de cette réalité sociale en projetant géographiquement sa rébellion. Au-delà de la sociologie et de l’histoire, la géographie a aussi beaucoup contribué à l’intégration nationale. «Le bas-relief plat a été un obstacle à la constitution d’enclaves ethniques, contrairement au Nigeria où il y a un iboland, un haoussaland et un yoroubaland» comme le souligne Makhtar Diouf dans son livre Sénégal, les Ethnies et la Nation que tout homme politique sérieux se doit de lire. Cette géographie dont parle Makhtar Diouf et qui fera du «Sénégal, un pays de passages et de rencontres, de métissages et d’échanges» selon Senghor et qui sera le fondement du «Senegal, ben bopela, ken manu ko khar niar». La stratégie politique du repli identitaire peut être une bonne stratégie au Nigeria ou au Liban, où la vie politique se fonde sur le constat des différences identitaires figées mais pas au Sénégal où elle se fonde sur la quête permanente de l’Unité et du rassemblement. La nouvelle stratégie de Sonko sur la stigmatisation des diolas, qui est purement politicienne et électoraliste, pourrait peut-être aider dans la bataille de Ziguinchor mais risque de le couper du Sénégal, car dans notre pays, le refus du séparatisme est le seul consensus national.

Les hommes politiques sénégalais ne sont d’accord sur rien sauf sur le refus instinctif et absolu du séparatisme qui est la ligne rouge. Les populations aussi. Le Mfdc a perdu la guerre pour n’avoir, entre autres, jamais réussi à faire tomber l’Etat dans le piège de la stigmatisation, ce qui fera que les populations de la Casamance n’hésiteront pas à manifester contre le démantèlement ou pour le retour des cantonnements militaires, cherchant ainsi la protection de l’Armée contre leurs «libérateurs». A l’extérieur, le Mfdc n’a jamais réussi à gagner la bataille de l’opinion parce que la guerre a été menée et surtout gagnée dans le cadre de l’Etat de Droit, ce qui explique aussi la durée du conflit, parce que l’Etat a veillé à ce que tout ne soit pas permis. Donc aucune stigmatisation, ni dans l’armée, ni dans l’Administration, ni dans le sport, et encore moins chez les populations. Et l’émergence politique de Ousmane Sonko, qui fait 15% à la Présidentielle et qui devient chef de l’opposition, est l’incarnation et la preuve de la fausseté du discours sur la stigmatisation. Ziguinchor est la seule région du Sénégal à avoir deux aéroports (Dakar n’en a jamais eu), un port, 3 bateaux, et à être desservie par 2 compagnies aériennes de façon quotidienne. Avec un tel potentiel, on attend des hommes politiques qu’ils nous proposent des schémas pour faire émerger la Casamance, notre avenir après que Saint-Louis a été notre passé, et Dakar notre présent.

PS : J’ai lu avec intérêt le texte du ministre Abdou Latif Coulibaly, mon Professeur et confrère sur «le Droit pris en otage par les avocats». Je pense qu’il faut se féliciter de cette judiciarisation des conflits politiques et électoraux parce que c’est un critère de l’évolution de la démocratie et du renforcement de l’Etat de Droit quand les rapports de Droit se substituent aux rapports de force.

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