UN PROFESSEUR NE DOIT PAS DIRE ÇA (Par Sankoun Faty)

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Abou Bakr «  le véridique » ( RA), Premier Khalife du Prophète de l’Islam (PSL), rapportant les paroles de ce dernier, a dit «  Voulez-vous que je vous dise quel est le plus grand péché ? Nous dîmes ‘’ Nous voulons bien ô Messager d’Allah’’ Il dit «  Le fait d’associer quoi que ce soit à Allah, Le manque de piété filiale, de tuer une personne… (il se redresse sur un appui) et surtout, de pratiquer les paroles de mensonge et le faux témoignage  ( il le répète plusieurs fois) »( Rapporté par Al Bukhâri) J’ai commencé par ce rappel de la tradition du Prophète Mouhammad (PSL) pour souligner la nécessité actuelle pour tout  croyant de la garder en mémoire, car tellement de propos  relayés par la presse sont en contradiction avec les enseignements qu’on doit en tirer. Les poursuites judiciaires contre Khalifa Sall ont provoqué une avalanche de commentaires et de déclarations des plus passionnés et critiques contre nos institutions qui pour la plupart, sont sans fondements tant factuels que juridiques. Le plus inquiétant, c’est quand les auteurs de ces propos sont des personnalités publiques ou se prévalant de détention de sciences se rapportant à cette affaire.
C’est le cas de cet ancien ministre de la justice et éminent juriste qui affirme que le maintien en détention de Khalifa Sall est illégal depuis son élection comme député, ce qui est en totale contradiction avec les dispositions de l’article 61 alinéa 2 de la Constitution. C’est aussi, celui d’un célèbre et très médiatisé prêcheur qui se reconnait ignorant des questions de droit (laïc) mais pourtant, fustige les poursuites contre le Maire de Dakar  et réclame sa libération au Président de la République. La liste est trop longue pour rapporter ici, toutes les citations qui jurent d’avec le débat intellectuel et constructif d’un Etat moderne comme on l’observe dans les pays dits avancés. Je m’appesantirai dans cette contribution, sur le dernier cas en date, celui d’un article paru en ligne et signé par Monsieur Aliou Gueye se présentant « technicien du droit et professeur de droit public » sur le procès de Khalifa Sall.
Le  titre de cet article est écrit sous la forme d’une « idée maitresse », pour employer un langage en technique d’expression orale et écrite chez les militaires : « L’affaire Khalifa Sall ne présente pas aujourd’hui toutes les garanties requises pour un procès équitable, juste et impartial dans un Etat de droit », qui constitue sa ‘’thèse’’ qu’il a tenté de démontrer ensuite dans le développement.  Je m’attendais naturellement, s’agissant d’un « professeur de droit public », à une analyse des éléments de droit et de fait pertinents sur le procès de Khalifa Sall pour étayer une telle affirmation.
Après plusieurs lectures de son article, c’est un sentiment fortement mitigé voire de déception qui m’a saisi. Globalement, j’ai  relevé qu’au-delà de cette affirmation, l’auteur met en doute l’effectivité d’un Etat de droit par défaut d’une séparation des pouvoirs au Sénégal malgré ce que les autorités en disent. C’est donc autour de ces deux idées de séparation des pouvoirs et de procès équitable que je vais articuler mon « avis dissident »( comme on dit à la Cour Internationale de Justice) de celui de Mr. Aliou Gueye
Sur ce qui constitue une négation de l’effectivité de la séparation des pouvoirs au Sénégal
Mr Gueye affirme que « La justice sénégalaise est étouffée par le pouvoir politique (pouvoir exécutif). A tel point que son rôle élémentaire qui consiste à dire le droit en toute neutralité, indépendance et impartialité, n’est plus possible au Sénégal ». Pour démontrer son constat absolu, il évoque principalement la présidence du Conseil Supérieur de la Magistrature(CSM) par le Président de la République et ensuite, les pratiques  de nomination de juges intérimaires déplorées lors du Forum de l’Union des Magistrats de Sénégal (UMS). Si son premier postulat était juste, on peut soutenir qu’en France où le CSM a été présidé par le Président de la République de sa création en 1883 jusqu’en 2008, le droit n’a pas été dit par les juges français pendant tout ce temps.
Il n’existe aucun lien de fait comme de droit (il n’en cite pas un) entre la présidence du CSM et « le rôle élémentaire qui consiste à dire le droit » du juge. Au Titre VIII de notre Constitution qui traite « Du pouvoir judiciaire », l’article 88 dispose : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est exercé par le Conseil constitutionnel, la Cour suprême, la Cour des Comptes et les Cours et tribunaux ». Il ressort ici, comme dans les termes mêmes employés par Mr Gueye, que le pouvoir judiciaire est de nature fonctionnelle, il s’agit de la fonction de« dire le droit » (à l’audience). Dans cet exercice, les juges décident sur la base de leur « intime  conviction » et « ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi» (Article 90 de la Constitution). Aucun texte ne subordonne leurs prises de décisions à un avis du président ou du vice-président du CSM. Il en va de même pour le député, dans l’exercice de sa fonction législative par le vote dans un sens comme dans l’autre, il n’a de limite que celle de sa conscience. Dans ce sens, on se souvient encore du rappel pathétique du vénéré Abdoul Aziz Sy « Dabakh » à l’endroit des parlementaires, sur leur responsabilité personnelle dans cet exercice. C’est bien l’expression d’une connaissance et reconnaissance de la séparation effective des pouvoirs au Sénégal.
Aux Etats Unis, pays qu’on cite en exemple de séparation des pouvoirs, le vice-président, numéro deux de l’exécutif, est en même temps, le président de la chambre haute du parlement américain, le Sénat. Egalement, les juges de la Cour Suprême sont tous nommés par le Président de la République avec l’accord du Sénat et sur la base de leur penchant politique sans que le principe de séparation des pouvoirs ne soit mis en cause. Comparativement, on peut donc dire qu’au Sénégal, la séparation des pouvoirs est constitutionnellement plus marquée que dans le pays de Donald Trump parce qu’à la fois organique et fonctionnelle.
Quant aux pratiques de l’intérim et abus de la ‘’nécessité de service’’, fort justement dénoncées par les magistrats eux-mêmes, elles n’entament en rien la libre conscience du juge dans sa prise de décision. Le dernier forum organisé par l’UMS auquel a pris part le ministre de la justice montre à plus d’un titre, la volonté des représentants des deux pouvoirs exécutif et judiciaire, à faire franchir à notre pays, des pas supplémentaires dans le renforcement de l’Etat de droit à travers une meilleure gestion de la carrière des magistrats. C’est dire en même temps que le jugement de Mr Gueye  relève de l’exagération excessive et d’une ignorance manifeste de l’intelligence du peuple Sénégalais que d’imaginer une éventuelle marche de notre pays vers un régime du type de celui de Vichy d’une France ‘’ soumise’’ à l’occupant Nazi.
Sur ce qui constituerait l’absence de garanties d’un procès juste et équitable
Mr Gueye l’explique par le fait que  « Khalifa Sall est le seul maire à être poursuivi pour ces faits ».
Il veut certainement parler de ce qu’on appelle ici « justice sélective ». Mais cette situation même avérée,  n’a rien à voir avec la notion de procès équitable dont il a rappelé les fondements normatifs internationaux à travers la Convention Européenne des Droit de l’Homme (Article 6) à laquelle il faut ajouter le Pacte International des Droits Civils et Politiques de 1966 (Article 14) et la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (article 7).
Le droit à un procès équitable est un concept de droit international  des droits de l’homme qui
constitue une composante fondamentale du droit de la défense consacré dans notre constitution (Article 9). Il s’entend par l’existence de dispositions tendant à assurer l’équité entre les parties au procès et plus particulièrement en faveur de la défense qui se retrouve seule contre les parties poursuivantes que sont la partie civile et surtout le procureur de la République qui parait le plus fort avec le soutien du pouvoir exécutif dont il est l’agent.
Pourtant Mr Gueye cite bien les termes du texte européen qui dispose  que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…)par un tribunal indépendant et impartial ». On n’est donc plus au stade des enquêtes mais bien au jugement. C’est justement à ce niveau qu’intervient  la notion d’« égalité des armes » entre l’accusation et la défense qui doivent pour cela, être mises au même niveau de connaissance du dossier et de traitement par les juges tout le long du procès. En plus, il ne cite aucun fait de nature à violer les droits de la défense en ce début du procès de Khalifa Sall et de ses co-prévenus.
 Pire encore, il « défonce une porte ouverte » en parlant de la « séparation des fonctions  dans le cadre du « pouvoir d’enquête». Le code de procédure pénal (CPP) Sénégalais  établit une nette distinction et répartition des fonctions de justice tant sur le plan personnel que sur le plan fonctionnel. Les trois phases du processus pénal, à savoir, la police judiciaire, l’instruction et le jugement y sont traités séparément. Les enquêtes concernent les deux premières phases: la police judiciaire conduite sous la direction du procureur et l’instruction assurée par le juge d’instruction. Ces deux étapes sont placées « sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre d’accusation » (Art.13 CPP). La phase jugement (procès) qui est un débat public et contradictoire entre les parties, a également deux instances : la première instance et l’appel. Tout ceci montre à suffisance que les garanties d’une bonne justice existent fort bien.
 Il est à noter qu’en matière délictuelle, comme c’est le cas dans l’affaire Khalifa Sall, la phase instruction est facultative. Le procureur pouvait valablement renvoyer directement les prévenus devant le tribunal sans passer par l’instruction.  On peut penser qu’il a souhaité apporter une garantie supplémentaire au dossier en saisissant le juge d’instruction, plus indépendant que lui vis-à-vis de l’exécutif, pour revoir et approfondir les investigations avec des pouvoirs plus larges, avant la saisine de la juridiction de jugement.
Le procès équitable inclut également un principe pouvant être qualifié de « transversale » parce que couvrant toute la procédure judiciaire depuis l’interpellation jusqu’au prononcé du verdict : c’est celui de la présomption d’innocence. Il s’agit d’un principe de droit pénal selon lequel toute personne poursuivie est considérée innocente tant qu’elle n’a pas été déclarée coupable des faits sur la base desquels elle est poursuivie par une juridiction compétente. C’est en application de ce principe que Khalifa Sall a pu être candidat puis élu député. Il a pour corolaire, la charge de la preuve qui revient à l’accusation qui fait que c’est au parquet d’apporter la preuve  de la culpabilité de la personne poursuivie.
La conclusion de Mr. Gueye est déconcertante de subjectivité quand il affirme que « la liberté de Khalifa Sall est une nécessité pour la légitimité de l’élection présidentielle de 2019 et la bonne santé démocratique du Sénégal ». Autrement dit, l’élimination (judiciaire) d’un potentiel candidat à la présidence de la République, rendrait illégitime les élections présidentielles. C’est ainsi soutenir que Sarkozy et Macron seraient des présidents illégitimes parce qu’ils avaient ‘’ profité’’ de la déchéance de Dominique Strauss-Kahn et de François Fillon, tous deux en tête des sondages avant la survenance de ce qu’on sait. Vraiment, un professeur ne doit pas dire ça !
Mr Gueye qui n’a fait référence à aucun texte Sénégalais dans son article, semble  ‘’déconnecté’’
de notre droit positif. Il évoque des actes de procédure judiciaire tels la liberté provisoire et la caution sans citer et encore moins commenter les dispositions du CPP qui les réglementent.
Je conclue comme j’ai commencé en me permettant l’expression d’un état d’âme. C’est ma
tristesse de voir l’affaire Khalifa Sall devenir une véritable foire aux dérives « pseudo-intellectuelles ». J’ai, dans une précédente contribution dénoncé également ces personnalités qui, sous le manteau de leur notoriété sociale ou d’intellectuels, créent et entretiennent la confusion dans l’esprit des citoyens lambda, là où ils doivent les éduquer ou les informer juste. J’ai répondu ici ‘’ OUI’’ à l’appel de Mr Gueye adressé aux juristes, pour livrer ma part de vérité dans le domaine du droit, avec l’intention de permettre à ceux qui ne sont pas versés dans cette science, d’avoir une certaine visibilité dans le brouillard des discours politiques et politiciens. Je le fais en acteur de la société civile militant pour le renforcement de l’Etat de droit au Sénégal à travers une participation citoyenne aux actions et débats positifs parce que constructifs. Ma conviction est que la véritable menace à la stabilité de toute société moderne, est moins les abus dans la gouvernance qui, le cas échéant, sont soumis à la sanction du juge, mais plus, ce qui s’apparente à ce qu’a dit Jean Dutourd, qui fut membre de l’Académie  française: « Le propre de notre temps est la malhonnêteté intellectuelle »
Sédhiou, Janvier 2018

Par Sankoun Faty
Colonel de Gendarmerie à la retraite
Juriste-Consultant, membre de la société civile à Sédhiou

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