Un observateur de France24 filme les rackets sur l’axe Dakar-Bamako: des policiers maliens et sénégalais pris la main dans le sac

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L’émission «Les Observateurs» de la chaine française France24 a publié, hier, une vidéo à travers laquelle on voit clairement des policiers sénégalais accepter de l’argent des voyageurs au niveau du poste frontalier de Kidira. Cette affaire vient rappeler l’affaire dite «Sokhna Bousso Gaye», du nom de la dame qui avait filmé, avec son téléphone portable, un policier ripou en train de se faire corrompre. 

Le monde est devenu un village planétaire avec le développement de l’internet accompagné par de fortes avancées technologiques. Et il est quasi impossible de vouloir museler les lanceurs d’alertes dans un tel monde. Pour avoir filmé un policier en train de se faire corrompre, la dame Sokhna Bousso Gaye l’a payé cher. Le procureur de la République s’était autosaisi, ce qui avait conduit à son arrestation. Jugée le 18 août 2016, elle avait été condamnée à un mois avec sursis plus une amende de 150.000 F Cfa.
Mais, si le maitre des poursuites croyait en avoir fini avec les lanceurs d’alerte, il faut croire qu’il n’a jamais été aussi loin de la réalité des faits. Et pour cause, un Observateur de l’émission «Les Observateurs» de France24 a voyagé de Bamako à Dakar avant de faire le même trajet dans l’autre sens, il y a un mois environ. Régulièrement contraint de verser des pots-de-vin aux forces de l’ordre sur la route, notamment aux frontières, lors de ses déplacements dans la zone, il a décidé de les filmer en caméra cachée.
Yohann, a les nationalités malienne et burkinabè. Le mois passé, il a quitté Bamako en bus et s’est rendu à Dakar, pour récupérer un véhicule qu’il voulait rapporter au Mali.
Il filme alors une première vidéo, où l’on voit un policier assis, avec des passeports étalés sur son bureau, et un autre policier debout, avec d’autres passeports à la main. Ce dernier appelle successivement les voyageurs pour leur rendre leurs papiers. Au bout d’une minute, on voit clairement quelqu’un lui donner un billet de 1000 francs Cfa, en échange de la restitution de ses documents de voyage. «Ce n’est pas la première fois que je fais ce déplacement et que je suis contraint de verser des pots-de-vin au cours du trajet, donc je me suis dit que cette fois, j’allais filmer. J’avais donc installé une application sur mon téléphone, Secret Video Recorder, qui permet de filmer même quand il est verrouillé. Je l’ai ensuite mis dans la poche de ma chemise et c’est ainsi que j’ai filmé», marque-t-il ainsi son indignation.

1000 francs Cfa demandés à tous les étrangers

Dans son récit, l’Observateur dit avoir quitté Bamako, traversé la frontière au niveau de Kidira où il a été contraint de verser 1000 francs Cfa à des policiers sénégalais. Cette scène décrite par le «cyberactiviste» s’illustre par la vidéo publiée par le site internet de la chaine française. «Ils nous ont fait rentrer dans une pièce, où nous étions une dizaine de voyageurs. Ils ont réclamé 1000 francs Cfa à tous les étrangers [les non-Sénégalais, Ndlr], même s’ils avaient leurs papiers en règle», sans donner aucune explication valable. Les Sénégalais, eux, n’ont rien payé : ils ont simplement récupéré leurs papiers, après avoir été contrôlés», renchérit-il.
Au delà de l’aspect corruption, le fait que ces policiers réclament 1000 francs Cfa aux «non-Sénégalais» viole purement et simplement le principe de libre-circulation qui régit la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), puisque les ressortissants de ses États membres peuvent théoriquement voyager librement au sein de cet espace tant qu’ils possèdent «un document de voyage et des certificats internationaux de vaccination en cours de validité».

«C’est au Mali que c’est pire»

Arrivé à Dakar, l’Observateur a récupéré un véhicule au port, avec lequel il est retourné au Mali. Il n’a rien payé en traversant la frontière, mais il a dû reverser des pots-de-vin (10.000 F Cfa) en arrivant dans la localité de Kati située à une quinzaine de kilomètres de Bamako, cette fois à des douaniers maliens. Yohann a donc filmé une autre vidéo à cet endroit, où l’on voit deux douaniers. L’un d’eux a deux billets de 10.000 francs Cfa dans la main, tandis qu’il examine des papiers. «Ces abus ont lieu à d’autres endroits, bien sûr. Par exemple, j’ai déjà dû payer 1000 francs Cfa à la frontière nigérienne. Au Ghana, j’ai déjà dû payer une fois aussi, même s’il existe très peu d’abus dans ce pays. Au Burkina Faso, je n’ai jamais rien payé, car j’ai la nationalité burkinabè. Mais une fois, j’ai demandé à un policier burkinabè pourquoi ils prenaient de l’argent aux étrangers : il m’a répondu que cette pratique était née au Mali, et qu’ils avaient donc commencé à faire la même chose», témoigne-t-il indiquant avoir l’impression que c’est au Mali que c’est pire.

Au niveau mondial, le statut de lanceurs d’alerte reste encore fragile. Cependant, quelques rares pays, comme l’Irlande, la Serbie, l’Afrique du Sud ou le Japon ont voté des lois globales sur le sujet. Le Royaume-Uni fait figure de pionnier : il est le premier Etat, dès 1998, à garantir la protection des lanceurs d’alerte avec un texte (“Public Interest Disclosure Act”) qui les protège d’éventuelles représailles de leurs employeurs.

Partout en Europe, les législations changent. En Islande, le parlement a adopté à l’unanimité en juin 2010 une résolution permettant de faire de l’île un refuge pour les défenseurs de la liberté d’expression. Le Sénégal et les autres pays africains doivent accepter de suivre cette tendance s’ils veulent vraiment prendre place aux côtés des plus grandes démocraties du monde.

Avec Jootay

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