THIAROYE 44: Beaucoup de cinéma, très peu d’actions

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« La trahison est une moisissure verte et douce, comme le duvet : elle ronge en silence et par l’intérieur ». A quelques encablures de la commémoration de la tragédie de Thiaroye, on ne peut penser aux victimes de cet événement douloureux sans se rappeler ces propos de Francis Blanche.

Il y a 72 ans, dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 1944, des tirailleurs originaires de plusieurs pays d’Afrique Occidentale française, rescapés de la guerre en Europe, manifestent pour réclamer leurs indemnités et pécules promis depuis des mois. Non seulement, ils ne touchent pas leurs dus, mais 70 d’entre eux sont froidement abattus par l’armée française dans un terrible massacre qui a mis à nu un manque de reconnaissance et une traîtrise sans nom de la France envers ses libérateurs.

Plus épouvantable, plus d’un quart de siècle après cet effroyable carnage, rien n’est fait concrètement par les gouvernements français et sénégalais afin de rétablir l’honneur de nos braves aïeuls et indemniser leurs familles qui gardent encore les stigmates de cet épisode douloureux.

Quand est-ce que la France se décidera-t-elle à assumer pleinement cette page très sombre de son histoire ? Quand est-ce que les autorités sénégalaises seront assez courageuses pour exiger d’elle l’aveu formel de son crime et l’acquittement de ses responsabilités dans ce qu’il est convenu d’appeler la répression de la honte ?

Ces questions restent en suspens depuis des décennies et laissent entrevoir une apathie que les descendants des tirailleurs sont forcés de supporter tout comme leurs grands parents, entassés au camp de Thiaroye, devaient faire face à l’arrogance et au racisme des officiers français. Alors que la deuxième Guerre mondiale n’était pas encore terminée, les tirailleurs retranchés au Camp de Thiaroye ont été les premiers prisonniers libérés. La France ayant décidé alors de les démobiliser et de procéder, par la même occasion, au « blanchiment » de son Armée. Quoi de plus normal alors pour des soldats rapatriés que d’attendre le versement de leurs pécules constitués de leurs arriérés de solde (qui aurait dû être versé pendant l’embarquement), de la prime de démobilisation ainsi que l’argent économisé pendant la guerre sur les livrets d’épargne du Frontstalag. Mais, malgré tous les sacrifices faits par les soldats africains pour libérer la France, les gradés de l’armée française ignorent leurs hauts faits d’armes et leur font subir toutes sortes d’humiliation. Ils leur font échanger leurs tenues militaires contre des shorts et chéchias qui rappellent, à bien des égards, la publicité raciste « y a bon Banania » des années 1930 à Paris.

Tout de même, le plus grave reste le non paiement des pécules de guerre promis par la France, en plus de leur refuser qu’ils changent leur argent en monnaie locale. Faut-il le rappeler, l’Allemagne avait versé aux prisonniers africains une allocation de 4000 Reich Marks en compensation des travaux qu’ils avaient effectués durant leur détention.

Irrités donc par le fait d’être pris pour des sous-hommes après avoir risqué leur vie dans une guerre qui n’avait rien à voir avec leur histoire, les tirailleurs prennent en otage le Général Dagnan le 30 novembre 44, avant de le libérer le même jour, après avoir obtenu la promesse ferme qu’ils seront payés. Mais, à l’aube du 1er décembre, ce même général organise le massacre des tirailleurs durant leur sommeil. Ce fut l’hécatombe. Un acte fielleux et dénudé de gratitude par lequel le gouvernement français voulait sanctionner pour l’exemple et montrer qu’il ne supporterait pas de révolte, encore moins une mutinerie dans ses colonies. Et comme si la métropole n’avait pas fait assez de mal, 45 tirailleurs rescapés de cette fusillade furent jugés pour « mutinerie » et 34 condamnés, selon les témoignages d’un des rescapés, Doudou Diallo, par ailleurs Président de la Fédération des Anciens combattants et prisonniers de Guerre du Sénégal.

Il a donc fallu que le député du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, se fasse l’avocat des tirailleurs pour que Marius Moutet, ministre de la France d’Outre-mer d’alors, annonce la grâce amnistiante accordée par le Président français Vincent Auriol à tous les anciens militaires détenus. Ce dernier ne fera pas plus que ça. Pas de reconnaissance des morts, encore moins de réhabilitation des réchappés.

C’est d’ailleurs ce qui fait le plus mal dans cette histoire. En effet, malgré le caractère tragique de ces événements, la reconnaissance-si on peut l’appeler ainsi-est venue tardivement. Car il a fallu attendre 60 ans avant que la journée du Tirailleur Sénégalais ne soit célébrée et instaurée, pour la première fois au Sénégal, en souvenir de la date de libération de la ville de Toulon, en France, par les tirailleurs, le 23 août 1944.

Figurez-vous que François Hollande est le premier homme politique français à rappeler officiellement la tragédie de Thiaroye. Ce qui laisse croire que depuis Auriol, le drame de Thiaroye a laissé de marbre tous les Présidents qui se sont succédé au Palais de l’Elysée. Quelle gratitude envers nos ancêtres Sénégalais et Africains qui ont donné chair et sang pour la France ! Dans son discours tenu le 12 octobre 2012 à Dakar, François Hollande évoquait, pour la première fois, la répression sanglante au Camp de Thiaroye qu’il définit comme une « part d’ombre de l’histoire de la France». Par la même occasion, le Président français promettait de donner au Sénégal toutes les archives dont la France dispose sur cette tragédie afin qu’elles puissent être exposées au Musée du Mémorial. Une reconnaissance qui, en plus d’être tardive, omet la moitié des victimes, si on en juge par plusieurs sources qui chiffrent le nombre de victimes à 70 alors que chef de l’Etat français parle de 35 soldats morts. Concernant la classification des archives liées au drame de Thiaroye, son chef de cabinet, Isabelle Sima, dans un courrier de la présidence française daté du mois d’avril 2014, annonçait une exposition en novembre 2014 à Dakar et à Bamako « afin de marquer le rôle important joué par les combattants africains » durant les deux guerres. Elle ajoutait que la remise d’une copie numérique des archives du drame de Thiaroye aux autorités sénégalaises se ferait lors de l’inauguration de cette exposition prévue en marge du 15ième Sommet de la Francophonie qui s’est tenu en novembre 2014, à Dakar.

Mais, tous ces discours n’y feront rien car jusque-là, même si la France soutient bec et ongles avoir remis les archives aux autorités sénégalaises, les descendants sénégalais et africains des tirailleurs tardent à être mis au fait des véritables circonstances et donc peinent toujours à trouver des prémices de respect de cette promesse française. Pis, la léthargie dont font montre les autorités de part et d’autre sur cette affaire laisse penser que la clarification, s’il y en aura, va tirer en longueur autant que la « reconnaissance ». Pour sa part, l’Etat du Sénégal semble peu préoccupé par cet événement. Ni exigence, ni pression ne sont exercées sur la France pour la réhabilitation des combattants de la liberté et la mise à disposition du public des archives liées à ce crime dont, manifestement, personne ne veut endosser la responsabilité.

Jean-Marc Ayrault, dernière autorité française à fouler le sol de Thiaroye ne fera pas plus que ses devanciers. Prenant la parole devant d’anciens combattants en début du mois de novembre 2016, le chef de la diplomatie française a juste reconnu que son pays a failli à ses devoirs d’égalité et de reconnaissance. Non seulement, le ministre français des Affaires étrangères ne nous apprend rien de nouveau dans son allocution, mais il ne prend aucun engagement vis-à-vis des victimes et de leurs familles respectives. Il convient de rappeler à cet effet que même si leurs maris condamnés ont été graciés lors de la venue à Dakar du Président Vincent Auriol en 1947, les veuves de Thiaroye n’ont jamais perçu de pension. Et ironie de l’histoire, c’est la ville de Diamniadio où le cinéaste Ousmane Sembène avait installé en avril 87 le « Camp de Thiaroye » pour le tournage de son film sur la tragédie qui a abrité le 15ième Sommet de la Francophonie à la date même de la commémoration du massacre. Simple coïncidence ou tentative d’éclipser une histoire de crime devenue trop encombrante? Force est de constater que la célébration de la langue de Molière à Dakar a ôté à cette souvenance tout l’engouent qu’elle devrait susciter.

En tout état de cause, Thiaroye 1944 restera gravé dans la mémoire des Africains. Même s’il n’est pas évoqué à outrance, et même si les gouvernements français et sénégalais ne semblent pas vouloir presser le pas pour édifier l’opinion et rétablir les victimes et leurs familles dans leur droit, ce crime odieux ne sera jamais oublié par les descendants des vaillants tirailleurs sénégalais, victimes de cette énorme vilenie de la France.

 Mamadou Sakhir Ndiaye

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