ENQUÊTE DANS LE SECTEUR IMMOBILIER, LES APPARTEMENTS ET CHAMBRES MEUBLES

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Les appartements ou chambres meublés, communément appelés «chambres de passage», même si les acteurs refusent cette appellation, sont très prisés à Dakar

Les appartements ou chambres meublés, communément appelés «Chambres de passage», même si les acteurs refusent cette appellation, font recette à Dakar. L’activité, malgré son illégalité, attire de plus en plus de monde. Une ruée qui n’est pas sans risques, même si la demande est très forte.

Le prix du loyer a connu une hausse vertigineuse. Des chambres avec salle de bain qui se louaient autour de 50 000 francs ne sont plus accessibles à moins de 80 000 francs. Amath Bâ, courtier depuis plus de 25 ans, croit en savoir les raisons. Selon lui, dans les quartiers populaires, les prix n’ont pas connu une forte hausse. Mais dans les quartiers résidentiels, dit-il, de nouveaux acteurs sont entrés dans le circuit. La pratique consiste, selon lui, à louer une chambre dans un immeuble, de bien l’aménager et d’en faire une chambre de passage. «C’est un business qui fait des ravages entre Hann Maristes, la Cité des Eaux, Nord Foire…. Les gens se font énormément d’argent », dit-il.

En effet, selon cet informaticien qui tient une chambre meublée dans le quartier de Liberté 6, le business est devenu sa principale activité. «Au début, c’était ma chambre. Une fois que je devais aller au village pour la fête de Tabaski, je l’ai confiée à un ami. Il en a profité pour la louer à ses amis. En moins de 5 jours, il s’est fait presque 100.000 Fcfa. Cela m’a donné des idées», explique-t-il. Aujourd’hui, il a loué une autre chambre non loin de celle qu’il occupait déjà. «C’est sur ma page Facebook que je faisais la publicité, mais aujourd’hui, je n’ai même plus besoin de le faire. Les gens m’appellent de partout. En une semaine, je peux gagner le prix de la location des deux chambres», reconnaît-il. En effet, explique-t-il, la plupart viennent avec leur copine et ne passent pas plus de deux heures. «On peut avoir trois clients comme ça en une journée. Les week-ends, c’est tout le temps occupé», dit-il. Actif dans le secteur entre 2010 à 2017, Bass Fall y a fait recette.

En effet, explique-t-il, certains louent un appartement entier de trois chambres par exemple, mais n’en n’occupent qu’une. «Le reste est loué à des prix variant entre 15.000 et 30.000 francs, selon la durée. En un mois, ils peuvent gagner jusqu’à plus de 500.000 FCfa. Et les charges ne sont pas importantes. Il y a juste une femme de ménage. Dans ce business, l’argument prioritaire, c’est vraiment la discrétion», explique-t-il.

DES TARIFS, SELON LA ZONE ET LE CONFORT

De la Cité Fadia à Ouest Foire en passant par Hann Maristes, Cité des Eaux, Liberté 6, les offres sont multiples et variées. Si la plupart proposent les deux heures à 10.000 francs pour une chambre avec ventilo et salle de bain. D’autres situées dans des zones plus huppées offrent plus de commodités. «Les chambres climatisées sont louées à 17.500 francs la journée», explique ce gérant d’une résidence à la Cité Belle Vue. Joint au téléphone, il explique les règles. Si chez eux, on s’efforce de respecter la réglementation, on ne peut en dire autant des chambres meublées. «Je ne déclare rien. Je m’efforce de garder les objets de valeur. Même la télécommande, je la garde. Il est arrivé à plusieurs reprises qu’on me vole des objets comme le chargeur, la télécommande etc… Et comme je n’exige aucune identification, c’est souvent difficile de retrouver le client», explique Sébastien Faye. Frigo bar, canapé, deux serviettes, une salle de bain spacieuse, cette dame l’appelle la mini-suite. «C’est 20.000 francs la journée», renseigne-elle, tout en détaillant les commodités au téléphone.

PLANQUE DES MALFAITEURS ?

Si la réglementation touristique exige l’identification de tous ceux qui fréquentent les résidences ou appartements meublés, les acteurs clandestins préfèrent passer outre cette disposition, parfois avec des risques assez élevés. Offrent-ils ainsi un refuge aux malfaiteurs ? Pour rappel, en 2017, la Police sénégalaise avait arrêté un des acteurs de l’attentat de Grand Bassam. D’après les éléments de l’enquête, il aurait passé un mois dans une auberge aux Parcelles Assainies. Une auberge clandestine qui ne figurerait pas sur la base de données des autorités touristiques. En effet, même si la réglementation exige d’identifier tous les clients, certains, même formels, refusent de s’y conformer pour des raisons économiques. «Certains clients préfèrent passer un peu de temps et disparaître, quitte à payer la journée. Mais dès qu’il s’agit de les enregistrer, ils vous tournent le dos. Souvent, on préfère prendre le risque», reconnaît un responsable d’une célèbre auberge. Pour Mamadou Diouf, secrétaire général national du Syndicat de l’hôtellerie, cette situation est très préoccupante. En effet, il estime que beaucoup de personnes recherchées arrêtées, par exemple à Saly, l’ont été dans des auberges.

DES GROS BONNETS AU CŒUR DU BUSINESS ?

Sur Facebook, parfois même à travers des affiches dans les différentes artères de la capitale, les appartements meublés clandestins sont même plus visibles que ceux qui répondent aux normes administratives. Selon un acteur touristique, la raison est toute simple. Si la plupart osent s’afficher, jusqu’à défier l’autorité, c’est parce que, dit-il, ils sont protégés. «Certains sont propriétaires de grands immeubles à Dakar et sur la Petite côte. Ils les confient à des gens qui prétendent assurer la sécurité, mais c’est un gros business, dans la plus grande illégalité », explique-t-il sous le couvert de l’anonymat. Pis, souligne-t-il, leurs clients viennent pour la plupart des pays étrangers, souvent seuls ou en famille. «On ne les contrôle jamais. Pourquoi ? Personne ne peut vous dire», lance-t-il.

LES AUTORITÉS COMPÉTENTES AUX ABONNÉS ABSENTS ?

Membre de l’association des gérants de résidences hôtelières, Abdou Romuald Diouf estime que le désordre constaté dans le secteur «est dû à la médiocrité de ceux qui sont censés contrôler le secteur». La Police touristique, la direction du tourisme, les polices de zone ne font rien pour contrôler ce qui s’y passe. «Il faut aller sur les sites d’annonces, les gens ne se cachent pas. Ça pullule parce qu’il n’y a pas de contrôle. C’est facile de se faire de l’argent quand on ne paye pas de taxes. Il faut savoir que quand on se formalise, il y a beaucoup d’impôts à payer», indique notre interlocuteur. Alors qu’il a fait l’effort de se formaliser, M. Diouf indique que si c’était à refaire, il ne le referait pas. «Il y a urgence d’organiser le secteur. Mais il ne s’agit pas d’appeler les gens à fermer, mais à se formaliser. «Quoi qu’on dise, même l’Etat perd énormément en laissant les gens dans la clandestinité. Il ne s’agit pas de faire de la répression, mais plutôt d’inciter les acteurs à se formaliser», précise-t-il. A souligner que nos tentatives de joindre la Direction de la Police Touristique sont restées vaines. Le numéro de téléphone disponible sur internet est inactif.

 MAMADOU DIOUF, SG NATIONAL SYNDICAT TOURISME ET HOTELLERIE «LES APPARTE- MENTS MEUBLÉS CLANDESTINS FAVORISENT LA PÉDOPHILIE, LE TOURISME SEXUEL… »

Drogue, tourisme sexuel, pédophilie…les maux sont nombreux et les appartements meublés clandestins sont pour beaucoup dans leur prolifération. C’est la conviction de Mamadou Diouf, secrétaire général national du Syndicat du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration, des cafés et bars du Sénégal. Malheureusement, regrette-t-il, on assiste à «leur prolifération et à celle des résidences parahôtellières que l’on retrouve surtout aux îles du Saloum, à Saint-Louis, sur la Petite Côte et en Casamance». Selon lui, ces appartements clandestins peuvent entraîner la prolifération du banditisme et les clients venant par vol sec peuvent y élire domicile et s’adonner à des pratiques malsaines. «C’est aussi une situation néfaste pour la main d’œuvre qui y officie et à bon marché. Par ailleurs, ces appartements mènent une concurrence déloyale aux hôtels qui s’acquittent régulièrement de leurs taxes, respectent les normes et la réglementation », relève-t-il. C’est pourquoi M. Diouf estime qu’il est urgent d’assainir le secteur «pour sa relance et son développement durable. Mais surtout pour permettre au Sénégal de garder sa place au niveau du tourisme mondial, un des facteurs clé de l’économie».

CONCURRENCE DÉLOYALE ?

Selon le secrétaire général national du syndicat de l’hôtellerie, cette activité est en train de tuer le secteur. Pour Mamadou Diouf, les clients qui venaient dans les hôtels, sur la Petite côte, ont envahi le business. «Ils achètent des maisons. Quand ils viennent en vacances, c’est là-bas qu’ils vont, s’ils rentrent chez eux, ils les mettent en location. Ils ne créent aucun emploi, parce que c’est généralement le gardien qui fait tout le travail et ils ne payent pas de taxes», dénonce-t-il. Pire, relève M. Diouf, aujourd’hui, beaucoup d’hommes d’affaires achètent des maisons et en font des résidences. Parce que, dit-il, c’est plus rentable et moins contraignant. En effet, dans l’hôtellerie, chaque client est mentionné et une taxe de 1000 F/nuitée est payée. «Or, s’il s’agit d’une résidence clandestine tout cela n’est pas mentionné », souffle-t-il.

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