Juan Branco : “Je n’ai pas l’âme d’un fugitif”

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Juan Branco

l’intégralité du discours tenu ce dimanche 30 juillet 2023 par Juan Branco, avocat français d’Ousmane Sonko, objet d’un mandat d’arrêt international de la part de la justice sénégalaise.

« Monsieur le Procureur de la République,

Nous sommes venus ici pour vous dire que nous n’avions pas peur.

Nous sommes venus, ici au Sénégal, où s’engage le devenir humain, dire à tous ceux qui nous entendent, de ne pas avoir peur.

Ousmane Sonko, porteur de l’espoir du grand peuple des déshérités, est actuellement détenu.

Ce n’est pas le cas de l’espoir qui s’est levé à ses côtés.

Cet espoir, que les balles n’ont pas arrêté, résonne par-delà ces contrées. Il s’élève et s’appose dans les cœurs des centaines de milliers d’exilés qui, de Paris à Hong-Kong, ont dû fuir la misère que vos pairs génèrent.

Il va au-delà. Il est celui de toutes les masses sombres et obscures qui, partant des jeunes déshérités de Thiès, vogue jusqu’aux gilets jaunes français, en passant par les enfants de Gaza, les femmes et les hommes maltraités : tous ceux qui crient liberté, dignité, souveraineté.

Cet espoir, aucune digue, aucun procureur ne saurait l’arrêter.

Je suis venu vous dire, Monsieur le Procureur, qu’une masse sombre et obscure vous toise, vous et vos décisions d’apparence si fermes.

Une masse sombre et obscure qui fut celle de vos ancêtres.

Qui fut celle qui, en des temps reculés, se leva pour mettre fin aux regards clairs qui l’esclavagisaient et la soumettaient.

Une masse sombre qui vous a fait homme, et que désormais vous souhaitez abattre.

Une masse sombre vous craignez plus que tout, contre laquelle vous vous êtes montré prêt à lever des armes destinées à nous protéger.

Monsieur le Procureur de la République,

l’espoir du monde résonne au Sénégal, où un juste, il y a quelques années, s’est levé, pour dénoncer la corruption qui affligeait son peuple.

Ce peuple l’a accompagné, s’est sacrifié, et, martyr, a donné une leçon au monde. Il a décidé de loger son âme en un corps, que vous avez pensé arrêter.

Cet homme est un juste. Un homme qui, entouré d’âmes mortes, a décidé de se lever.

Un homme qui ne saurait être arrêté.

Il y a des êtres qui décident que les astres appartiennent à tous.

Des hêtres qui, faits pour gouverner, héritiers de capitaines d’antan assassinés décident de se joindre aux peuples, plutôt que de les exploiter.

Vous avez fait le choix, Monsieur le Procureur, de la morbidité.

D’un pouvoir décadent qui, dans sa fuite en avant, n’a plus trouvé que la force à opposer à un peuple qui se révoltait.

Vous avez fait du mot et de l’autorité une mascarade.

Vous avez perdu notre respect.

Aujourd’hui au Sénégal, un pouvoir a pris l’odeur de l’ambition frustrée. De la soumission au néant, qui au tout, éphémèrement, permet un instant de goûter.

Ce pouvoir a fait le choix du cadavre, Monsieur le Procureur de la République. Et vous avez décidé de l’y accompagner.

Du cadavre politique et juridique.

En vous attaquant à Ousmane Sonko, vous faites allégeance à la mort, contre ceux qui défendent la vie.

Je suis venu vous le dire au nom de cet homme que vous avez décidé de faire emprisonné.

Vous dire que nous n’avons pas peur. Que nous avons l’âme tranquille des hommes qui luttent, et qui observent sans dédain ni pitié, ceux qui s’offrent à l’avarié.

Je suis venu prêter main forte à ceux qui ont décidé de défier le malheur et la fatalité A ceux qui ont décidé de tenir droit, contre ceux qui les veulent pliés.

Au Sénégal s’engage le devenir d’une humanité qui tremble de ses directions.

Au Sénégal s’engage plus particulièrement le devenir d’un continent qui a porté l’Homme, tutoyé les astres, et que l’on a pour cela longtemps persécuté.

Un continent qui désormais fait l’Histoire et la domine, s’apprêtant à en écrire les pages les plus glorieuses, dans l’aspiration au bonheur, et à la dignité.

J’ai l’honneur d’avoir été choisi par un homme qu’un peuple a choisi pour l’accompagner, et au côté de mes frères et soeurs qui luttent, d’avancer sur un chemin commun.

Au Sénégal s’engage mon devenir, puisque vous avez décidé de m’y faire arrêter, signifiant au monde entier que j’étais recherché.

Monsieur le Procureur de la République,

Me voilà. Je n’ai pas l’âme d’un fugitif.

J’ai fait le serment de défendre un homme, Ousmane Sonko, dont le corps charrie les espoirs de tout un peuple, et partant, de toute l’humanité.

J’ai fait le serment de défendre ceux qui, marchant depuis trop longtemps asservis, ont décidé de se lever.

Vous avez décidé de le faire arrêter, ce corps qui s’est érigé, s’est redressé, et à travers lui, 17 millions de sénégalais.

Vous l’avez espéré à la menace, l’intimidation, la corruption.

Vous n’avez pas supporté que, rehaussant son regard, ce corps et cet âme disent non.

Non, je ne céderai pas.

Non, je ne me soumettrai pas.

Non, je ne plierai pas.

Trop de siècles sont passés. J’aspire désormais à ma souveraineté.

C’est donc tout naturellement, en tant qu’avocat, mais également en tant qu’homme, qui sait ce qu’il doit aux siens, que je suis venu me porter à ses côtés.

Et c’est donc naturellement que vous me voulez à mon tour arrêté.

Moi avocat, comme d’autres journalistes, militants, citoyens.

Car vous savez les reconnaître, Monsieur le Procureur, les hommes qui, disant non, menacent votre intégrité.

Je suis venu vous dire, Monsieur le Procureur, que vous pouvez arrêter un homme.

Mais que vous ne pourrez rien contre la vague et le ressac qui viendront par la suite vous frapper.

Nous sommes les héritiers et les ancêtres d’une longue lignée d’êtres qui ont ouvert la porte à leurs sœurs et frères qui craignaient.

Plus de six cent sénégalais demeurent enfermés du fait de leurs idées.

Vous pourrez en arrêter mille autres, Monsieur le Procureur.

Vous ne pourrez rien contre les champs humains que leurs mots et gestes s’apprêtent à ensemencer.

Monsieur le Procureur, Mesdames, Messieurs les serviteurs,

Je suis venu ici à Dakar, vous dire que nous serons vos spectres. Et que plus jamais vous nous échapperez.

Dans la nuit, dans le jour, aux côtés de ceux qui successivement se lèveront pour la justice et la vérité, vous nous aurez à vos côtés. Âmes rodantes, torturées, pillées, assassinées.

Prêtes à frapper.

Il n’y a de tranquillité que pour l’homme libre.

Et pour celui qui à l’Homme s’est voué.

Les crimes que vous avez commis, autorisés, ordonnés, se sont inscrits dans la chair de l’humanité. Imprescriptibles, ils reviendront, toute votre vie, vous hanter.

Nous serons leurs garants. Ceux qui s’assureront que jamais ces morts, ces blessés, soient oubliés.

Morts ou vivants, arrêtés ou libres, nous viendront vous susurrer cette parole jusqu’au plus profond de votre intimité, vous laissant tremblés, agités, accablés, prêts à tout pour vous sauver.

En commettant l’irréparable, vous vous êtes damnés. Votre vie, désormais, est prise entre les rets de la fatalité.

Vous êtes la tragédie, désormais. Et vous rêvez de nous y emporter.

Mais ous demeurerons solaires. Auprès de nos frères arrêtés, torturés, tués, portant leur nom et leur mémoire, de Fallah Fleur à Pape Amadou Keita.

Nous nous relayerons sans cesse, et sans craindre de tomber.

Sans craindre la barbarie, la sauvagerie, l’obsession du pouvoir et de l’indécence.

Pour notre souveraineté et notre liberté.

Voyez, Monsieur le Procureur, nous n’avons pas peur. Et nous sommes venus vous le dire, ici, au cœur de ce que vous croyez être votre principauté.

Le monde vous regarde, Monsieur le Procureur.

Le monde nous regarde.

A cet instant, les spectres que vous et vos ancêtres, colons, exploiteurs, maîtres et traîtres avariés, ont enfanté, se réunissent, et complotent pour qu’en ces terres rejaillisse beauté et liberté.

Nous serons et demeurerons, à tout instant, à leurs côtés.

Courage, Monsieur le Procureur. Car ce qui vient a de quoi faire trembler les laids.

Courage mes frères. Je suis fier ce jour d’être l’un des vôtres, et de pouvoir vous le dire, côté à côté.

A nos lendemains. A la lutte.

A la pensée et la fraternité. »

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