Dr Cheikh Tidiane GADIO à l’émission Point de Vue Notre commentaire « exégétique » d’un entretien sur le Mali

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Invité, ce 23 août 2020, de l’émission Point de vue sur la RT1, l’ancien ministre des
Affaires Etrangères, le Dr Cheikh Tidiane GADIO, Président de l’IPS (Institut Panafricain de
Stratégies), a porté un coup de phare très objectif sur les enjeux politiques, sécuritaires et
économiques que révèle le coup d’Etat perpétré par l’armée malienne contre le Président
Ibrahima Boubacar Kéïta.
Pour quelques aspects très regrettables que puisse revêtir le coup d’Etat fomenté contre
M. IBK, Dr C. T. GADIO soutient d’emblée qu’aucune raison ne peut disculper toute décision
de de la CEDEAO qui tiendrait à sanctionner les putschistes en mettant « à genou le peuple
malien », déjà en souffrance à cause des crises profondes et multiples. Un embargo est, suivant lui, un non-sens mortel, puisqu’on ne peut pas prétendre aider le Mali en le fragilisant encore plus par quelques mesures drastiques visant prétendument le rétablissement de l’ordre
constitutionnel.
Cette posture de la CEDEAO qu’il considère comme un « projet de guerre contre le
Mali », si elle est adoptée, se fera sans le Sénégal, parce que, précise-t-il, « le Mali est un pays frère », au même titre que tous les pays comme la Guinée, la Côte d’Ivoire ou le Burkina Faso.
Insistant sur cette relation fraternelle avec le Mali, Dr GADIO de dire que « rien de mal ne
viendra du Sénégal contre le Mali ». Pour lui, ce pays a (plutôt) besoin que l’on « prenne les armes contre les jihadistes».
En ces circonstances aussi tragiques que vivent le Mali et notamment d’autres Etats
africains depuis plusieurs décennies, le Président de l’IPS propose aux pays africains de
mutualiser leurs forces, d’envisager la refonte du cadre de coopération établi par l’Union
africaine et demande, surtout, le renoncement de ces Etats à certaines parcelles de leur
souveraineté, afin que puisse être amorcé un vrai changement de paradigme. La coopération ne devrait pas se limiter, souhaite-t-il, à l’économique. Elle doit être avant tout politique. Dr GADIO préconise un passage des Etats-Unis d’Afrique de l’Ouest aux Etats-Unis d’Afrique.
Appelant de tous ses vœux des relations apaisées entre les hommes politiques (pouvoir
et opposition) et le peuple, il reste persuadé que cette propension à menacer des hommes au pouvoir en leur disant qu’il n’y aurait autre issue pour eux que la prison s’ils perdent l’élection présidentielle, est contre-productive. Pour lui, ce discours intimidant peut pousser certains chefs d’Etat, par crainte de la mise à exécution de telles menaces, à se maintenir plus longtemps au pouvoir et être tentés de « charcuter » incessamment la Constitution à leur avantage. Les conséquences nous les connaissons : fragilisation de la démocratie, soulèvements populaires et
coups d’Etat.
Un coup d’Etat est avant tout l’expression d’une crise dans le commandement, notion
qu’il faut comprendre comme la manière d’assumer des responsabilités, de conduire des
hommes, conformément à des dispositions réglementaires, dont le respect légitime les actions du. des chef.s. Ce respect des règles régissant le commandement militaire et toutes les institutions qui participent au bon fonctionnement de l’Etat s’impose à tous les acteurs, qu’ils soient chefs ou subordonnés, responsables de directions (publiques ou privées) ou citoyens à niveau de responsabilité sociétale diverse. Par conséquent, nul ne s’étonnera que les personnes coupables de fautes, de crimes soient sanctionnées conformément aux dispositions prévues par la loi.
Suivant ce qui est dit plus haut, il est difficile, en droit, de légitimer un coup de force
militaire perpétré contre un président de la République démocratiquement élu par ceux qui sont censés être ses « subordonnés ». S’il n’existe pas de loi qui donne le droit à une armée ou à un peuple de se rebeller contre le « Chef suprême des armées et Gardien de la Constitution », ce n’est donc qu’en fait, que toute action de rébellion peut être justifiée ou légitimée. Il reste alors presque inconcevable qu’un régime puisse donner un jour un droit légal à une armée ou à un peuple de se rebeller contre lui en cas de viol de la Constitution de sa part ou d’actes pouvant être qualifiés de haute trahison.
Puisqu’il en est ainsi, que faut-il donc faire ? C’est très simple : mettre en place des
fondements juridiques clairs, consensuels et inviolables que même un être aux velléités
hautement despotiques n’oserait saper. A ce propos, écrit le Général Mamadou NIANG dans
ses Mémoires synchroniques du fleuve de (son) destin (2012) : « …les relations humaines
obéissent aux normes de civilisation…Le chef ne fait pas ce qu’il veut, à moins qu’il s’affiche
comme dictateur et là, il perd sa qualité de chef ».
Malgré la nature complexe d’un tel projet « constitutionnel », pourtant réaliste, il est
certain qu’il permettra d’éviter des épisodes fâcheux auxquels nous assistons lorsqu’il y’a un
putsch ou un soulèvement populaire. Car il faut convenir que la perte de nombreuses vies
causées par les caprices de quelques hommes est inacceptable ! De la même manière que le
coup d’Etat doit être la dernière chose qu’il faut attendre de la part d’une armée dite
républicaine, c’est à ce même titre qu’il faut regretter des changements récurrents (par la
violence) de régimes portés démocratiquement au pouvoir et, très souvent, en cours de mandat.
Un populiste serait tenté de nous faire quelques griefs et de soutenir que le peuple a
toujours raison. Autrement dit, il suffirait que la majorité décide d’une chose pour que celle-ci
soit juste ou bonne. Or, une décision ou un choix, même populaire, peut se faire au détriment
du droit, de toute morale, voire à l’encontre du respect de la dignité humaine, dignité que chaque
peuple a tout de même le loisir de définir selon ses propres valeurs.
Oui, tout comme le prince, le peuple peut avoir tort. Au demeurant, objectivement, le
peuple n’a jamais été une entité homogène où celles et ceux qui le constituent ont une idée et
une « pensée commune », voire « identique ». Si, d’un point de vue logique et paradigmatique,
on peut expliquer et comprendre sans peine le mépris social que suscitent certains hommes de
pouvoir, il n’est tout de même pas toujours aisé de légitimer, par exemple, un soulèvement
populaire, comme celui que nous avons connu en Egypte, où un Président majoritairement élu
à 51,7 % des voix, à la suite d’une élection relativement transparente, fut destitué par une armée
ayant concrétisé, la volonté d’une partie du peuple réclamant un type de régime différent de
celui que le Président Mouhamed Morsi voulait mettre en place. Par inférence, nous pouvons
dire qu’une « majorité silencieuse » peut toujours perdre le combat démocratique devant une
« minorité super-active ». Si l’on considère une hypothèse plus ou moins inverse, où les deux
camps opposés sont déterminés à en découdre à tout prix, c’est à une hécatombe humaine qu’il
faut s’attendre. Des conflits pareils peuvent être pires, en fonction de leur durée et du degré des
violences, que le génocide rawandais, qui a résulté de la mort du président hutu, Juvénal
Habyarimana. Ce tragique évènement, marqué par le rappel des troupes onusiennes stationnées
au Rwanda, a maculé à jamais l’ONU. Le courageux Général Dallaire, chef de la mission de
paix des casques bleus, s’était insurgé contre cette curieuse décision. Il appert de ce crime de
non intervention que les institutions et les peuples ont besoin d’un nouveau type de moralisation
qui permet, en priorité, de sauver des vies et de restaurer la stabilité des Etats.
La démarche horizontale pourrait consister à passer d’abord par un processus de
socialisation permanent adossé sur les valeurs essentielles communément « partageables ». Sa
mise en œuvre devrait permettre de réussir à approcher, sans jamais l’atteindre totalement,
l’établissement d’un habitus patriotique et d’un amour mutuel entre les communautés, et aboutir
à la mise en place d’Etats viables pour tous, dans lesquels les droits des uns et des autres seront
respectés. Malheureusement, la nature des compétitions structurelles qui fondent l’accès aux
« places » (politiques, professionnelles) dans nos sociétés, la diversité et la multitude des
besoins et aspirations non satisfaits des citoyens, en raison parfois d’une certaine mal
gouvernance, ne facilitent pas cette construction idéale dans un biotope paisible.
Pourtant, Jean-Louis ROY(2019), dont l’ouvrage, Bienvenue en Afrique, fut
brillamment présenté par le Dr Cheikh Tidiane GADIO à Dakar en la présence de l’auteur luimême et d’éminentes personnalités, comme le ministre des Forces-armées, Sidiki KABA, le
Général Mamadou SECK, etc., soutient que l’Afrique, avec son potentiel démographique et ses
ressources économiques, ainsi que sa maitrise des Tic, va constituer « Le Chantier du Siècle ».
Malgré l’importance d’un tel présage rassurant, la question fondamentale qu’il faut se poser
reste la suivante : qui construira ce chantier, avec quels moyens et comment ? L’appel est lancé
aux Think Tanks africains.
Avec des pays fortement endettés, et frappés de surcroît par la Covid-19, c’est, comme
le recommande vivement Dr GADIO, une annulation des dettes que l’Afrique devra purement
et simplement réclamer de la part des Institutions financières (FMI, Banque mondiale), tout en
exigeant son affranchissement des Etats impérialistes qui la maintiennent, aujourd’hui encore,
sous « perfusion économique », alors qu’elle possède d’immenses réserves naturelles pouvant
faire d’elle une véritable puissance mondiale, dès que se construit cette entité fédérale des EtatsUnis d’Afrique. Selon GADIO, par ailleurs vice-président de l’Assemblée nationale du
Sénégal, la question sécuritaire doit être au cœur des réflexions visant l’urgentissime
développement du Continent.
L’heure est donc à l’action !
Malick GAYE
Sociologue, chercheur en sociologie militaire

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