Aly Ngouille Ndiaye, Ministre de l’Agriculture : « 300 tracteurs seront réceptionnés ce 30 janvier »

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Le Gouvernement a dévoilé, lors du Conseil interministériel du 6 janvier dernier, sa Stratégie nationale pour l’autosuffisance alimentaire à l’horizon 2029. Un objectif qui nécessite des investissements colossaux (5000 milliards de FCfa). Dans cette grande interview accordée au « Soleil », le Ministre de l’Agriculture, de l’Équipement rural et de la Souveraineté alimentaire détaille la feuille de route du Gouvernement pour y parvenir. Aly Ngouille Ndiaye annonce dans ce sens un important lot de matériels agricoles comprenant notamment 700 tracteurs, dont un premier lot de 300 sera réceptionné ce 30 janvier par le Président Macky Sall. 

Tout d’abord, quelle définition donnez-vous à l’autosuffisance alimentaire ? 

Nous avons opté, dans le cadre de notre souveraineté, d’être autosuffisants pour l’essentiel des produits que nous consommons. Donc, il s’agit de produire suffisamment certaines denrées telles que les céréales (riz, mil, maïs, etc.), mais aussi dans le domaine de l’élevage et de la pêche, tout en respectant l’environnement et la durabilité.

Et quels sont les objectifs en termes de production dans le cadre de cette stratégie ? 

Dans le secteur de l’agriculture, nous avons travaillé sur des hypothèses partant d’éléments réels, notamment l’évolution de la production au Sénégal ces dernières années. Par exemple, la production de céréales est passée de 1,5 million de tonnes en 2012 à 3,3 millions de tonnes en 2022. Si nous prenons spécifiquement le riz, nous produisons depuis quelques années entre 45 et 50 % de nos besoins, et nous importons environ 1,2 million de tonnes. De même, nous importons à peu près 300 000 tonnes de maïs. Donc, nous visons, pour ces céréales, une autosuffisance dans un horizon de cinq ans, en tenant compte du niveau actuel de production, des surfaces emblavées et de l’évolution de la démographie. Dans nos projections, nous pensons que nous devrions y parvenir, avec des investissements conséquents, dans le cadre du prochain Plan d’actions prioritaires du Pse (Pap-2024-2028). Concernant l’élevage, nous visons l’autosuffisance en moutons et l’augmentation considérable de la production de viande rouge et de volaille. Pour ce qui est de la pêche, il y a également des investissements à faire, mais déjà la régulation voire l’interdiction de l’exportation de petits pélagiques permettrait aux Sénégalais d’accéder au poisson.

Comment sera financée cette stratégie dont les besoins sont estimés à 5000 milliards de FCfa ? 

Effectivement, nous tablons sur des projections de 5000 milliards de FCfa dont, à peu près, 4000 milliards pour le secteur de l’agriculture qui nécessite plus d’investissements, notamment en ce qui concerne le riz irrigué. Ce sont au moins 100 000 hectares supplémentaires qu’il faudra aménager. Nous encourageons aussi la culture du riz de plateau. Pour mobiliser cette enveloppe, nous solliciterons les partenaires en plus de nos ressources propres en constante hausse ces dernières années. En effet, les résultats que nous avons obtenus ne sont pas tombés ex nihilo, c’est le fruit de la politique volontariste que le Chef de l’État a engagée depuis une dizaine d’années. Beaucoup d’investissements sont consentis pour le développement de la riziculture dans la vallée mais aussi en bas-fonds. Sans oublier la subvention des intrants et du matériel agricole. Il s’agit de renforcer ces initiatives en vue d’atteindre les objectifs fixés à l’horizon 2028.

Dakar accueille du 25 au 27 janvier le sommet sur la souveraineté alimentaire autour du thème « Nourrir l’Afrique ». Quel est l’objectif de ce sommet ? 

Il s’agit d’une initiative du Président de la République Macky Sall et du Président de la Banque africaine de développement (Bad). Lors de ce sommet, appelé « Dakar 2 », nous attendons beaucoup de leaders (des Chefs d’État, des Ministres de l’Agriculture, des investisseurs, etc.) pour essayer d’apporter une réponse aux problèmes auxquels sont confrontés beaucoup de pays, notamment africains, sur le plan alimentaire depuis la Covid-19 et l’éclatement de la guerre en Ukraine qui viennent s’ajouter au changement climatique. Ces trois éléments combinés nous ont créé beaucoup de difficultés avec le renchérissement des prix des denrées, parce que nous importons une bonne partie de ce que nous mangeons. C’est pourquoi, avec la Bad, nous avons besoin, dans le cadre de ce sommet, de mettre en place des stratégies pour assurer notre souveraineté alimentaire. Nous espérons que la Bad et les autres partenaires apporteront une réponse à ces préoccupations.

Parlant d’autosuffisance, quels enseignements tirez-vous de la mise en œuvre du Programme national d’autosuffisance en riz (Pnar) ? 

Le Pnar est toujours là. Avant, il y avait le Pracas (Programme d’accélération de la cadence de l’agriculture sénégalaise) et actuellement le Passad (Programme agricole pour une souveraineté alimentaire durable). Ce sont des projets qu’on a mis en place et qui ont produit des résultats. Il faut dire que nous venons de loin. Si vous prenez les céréales, nous étions à 1,5 million de tonnes. Donc si on est passé à 3,3 tonnes en l’espace de dix ans, c’est parce qu’il y a eu des investissements qui ont été faits. Nous visons des objectifs plus ambitieux, qui vont avec des investissements tout aussi ambitieux. Rien que pour l’aménagement des terres pour la riziculture, nous n’attendons pas moins de 1400 milliards de FCfa dans les cinq prochaines années. Nous devons aussi avoir une meilleure maîtrise de l’eau. Nous ne devons pas compter uniquement sur la pluie pour développer des activités agricoles dans ce contexte de changement climatique. Il faut qu’on essaie d’exploiter au maximum l’eau que nous recevons. Par exemple, cette année, nous avons eu une forte pluviométrie. Il faut également plus de mécanisation. Le Président de la République a eu à faire des ruptures très importantes à commencer par la dénomination du Ministère de l’Agriculture (à laquelle sont venus s’ajouter l’Équipement rural et maintenant la Souveraineté alimentaire) pour mieux refléter ces préoccupations, permettant ainsi au monde rural d’accéder à du matériel agricole subventionné à hauteur de 50 ou 70%. Le matériel qu’on ne voyait pas est devenu très disponible à tel point que les gens ne peuvent plus se passer des tracteurs. Aujourd’hui, nous avons investi et permis à beaucoup de Sénégalais d’avoir des moissonneuses-batteuses. Et on continue ce travail. Le Président a lancé, l’année dernière, le programme le plus ambitieux dans ce domaine avec l’acquisition de 700 tracteurs équipés, 50 moissonneuses-batteuses, 100 magasins de stockage, 20 entrepôts frigorifiques et 70 motoculteurs, soit une enveloppe globale de 83 milliards de FCfa sur trois ans. Le premier lot de ce matériel sera réceptionné par le Chef de l’État ce 30 janvier 2023. Mais avec la souveraineté alimentaire, nous allons encore augmenter cette acquisition de matériels pour atteindre les objectifs.

La question climatique est très préoccupante. Cette année, on a connu un hivernage exceptionnellement pluvieux. L’année d’avant, ce n’était pas le cas. Comment est prise en compte cette variabilité dans le cadre de la stratégie ?

C’est une donnée qu’on ne peut pas occulter. Et c’est un phénomène mondial. Il y a des pays qui nous entourent et qui nous fournissaient, il n’y a pas longtemps, beaucoup de choses et qui ne le peuvent pas aujourd’hui car ils ont connu la sécheresse. J’ai été en Égypte qui, aujourd’hui, ne produit plus de riz. Ils ont misé sur l’autosuffisance en blé car le riz est beaucoup plus consommateur d’eau. Les pays s’ajustent naturellement en fonction des circonstances. Aujourd’hui, l’un des meilleurs ajustements est la maîtrise de l’eau. Nous devons pouvoir utiliser l’eau du fleuve pour augmenter les surfaces emblavées. Ce qui veut dire qu’il faut faire des aménagements. Je peux citer dans ce cadre des projets comme le Preferlo (Projet de renforcement de la résilience des écosystèmes du Ferlo) qui a démarré cette année et qui permettra, dans sa première phase, d’accéder à 40 000 hectares supplémentaires où on pourra faire de l’agriculture. Si vous regardez du côté du fleuve Gambie, nous avons la possibilité d’aménager des terres pour faire du maïs irrigué du côté de l’Anambé. Beaucoup de projets que nous avons aujourd’hui demandent une maîtrise de l’eau. Sans oublier la lutte contre la salinisation des sols.

Parlons maintenant de la campagne de commercialisation arachidière. Quels constats vous reviennent du terrain ?

D’abord, ce qu’il faut dire, c’est que nous avons eu une bonne production, même si elle est un peu en deçà des résultats escomptés. Cette année, la production arachidière est estimée à 1,5 million de tonnes. Cela veut dire que même si c’est une baisse de 11% par rapport à l’année dernière, c’est quand même intéressant, parce que l’arachide est une culture de rente qui occupe beaucoup de Sénégalais. Concernant la campagne de commercialisation, il y a des intérêts divergents mais l’État essaie d’arbitrer au mieux. Il prend en compte les intérêts des producteurs car s’ils ne produisaient pas on ne parlerait même pas d’arachide. À côté, il y a les intérêts des huileries qui, elles aussi, contribuent à la transformation. Je pense que, des fois, on parle beaucoup de transformation mais il faut aussi qu’on tienne compte des capacités de transformation par rapport à la production. Et enfin, la semence. Je considère que la semence ne devait pas être dans cette compétition. Une semence correcte, on la contrôle, du début à la fin. L’arachide utilisée pour la semence n’est pas normalement celle utilisée pour cultiver. On a fait des bonds importants en matière de semences certifiées. J’aime le rappeler, à l’arrivée du Président Macky Sall, nous n’avions que 5000 tonnes de semences certifiées. L’année dernière, on en a distribué plus de 57 000 tonnes. L’année prochaine, on envisage de faire de même. Normalement, nos besoins en semences certifiées qui représentent moins de 10 % de la production d’arachide ne devraient pas poser problème. En principe, la présence des exportateurs (notamment chinois) est une bonne chose pour le producteur. Vous ne les entendez pas se plaindre. Aujourd’hui, le prix du kg d’arachide tourne autour de 400 FCfa alors que le prix plancher est de 275 FCfa. C’est vrai qu’il y a une partie qui se retrouve lésée, parce que les modalités d’intervention ne sont pas les mêmes. C’est le cas des huiliers, avec notamment la Sonacos. Nous sommes en train de voir comment on peut appuyer la Sonacos et les autres huiliers pour accéder à une partie du stock déjà acheté pour l’industrie d’export. Je pense que des facilitations seront données à ce niveau.

Donc le Gouvernement n’envisage pas d’interdire les exportations ? 

Pas question ! On ne peut pas, aujourd’hui, l’interdire. D’abord, parce que, il ne faut pas aussi que les gens oublient qu’il n’y a pas longtemps, le Gouvernement a tout fait pour que ces exportateurs viennent dans le marché. Parce qu’à ce moment-là, les producteurs avaient des difficultés pour vendre. Les huiliers étaient là, mais ne pouvaient pas acheter toute la production. Aujourd’hui, le Gouvernement a fortement négocié avec la partie chinoise pour regarder comment notre arachide peut être aux normes. La destination de ce marché occupe près de 6 millions de Sénégalais. Donc, aujourd’hui, la préoccupation du Gouvernement, c’est que le producteur puisse y trouver son compte.

Le Sénégal importe de l’huile également. Comment prendre en charge le volet transformation pour non seulement être autosuffisant sur ce plan, mais aussi créer de la valeur sur nos produits ? 

C’est vrai qu’aujourd’hui, on parle d’importation d’huiles. Quand vous regardez les chiffres, la consommation d’huile de palme, même d’huile de tournesol est, sans commune mesure, supérieure à la consommation de l’huile d’arachide. Ça aussi, c’est une réalité. Les prix ne sont pas les mêmes. Ce qui fait qu’aujourd’hui, au Sénégal, il nous faut avoir plus de productions d’arachide mais également des unités industrielles adaptées, modernisées pour pouvoir produire de l’huile d’arachide à un coût qui est acceptable par le consommateur sénégalais. La Sonacos travaille déjà sur ce dossier et l’huilerie privée qui s’y installe commence à le faire. Maintenant, au-delà de ça, il faut, aujourd’hui, peut-être, encourager, et même pourquoi pas, la production d’huile de tournesol dans notre pays, parce que les Sénégalais savent ce qu’ils consomment. Nous avons la pluviométrie qui, à mon avis, revient, ça aussi c’est une réalité qui donne la possibilité de faire cette production. Ce sont des éléments qui sont pris en compte dans la stratégie de la souveraineté alimentaire. Maintenant, l’arachide occupe une bonne partie du Sénégalais. Un nombre important de populations s’adonnent à cette production et l’État également y met beaucoup d’argent. Il faut voir à chaque fois comment associer les intérêts des uns et des autres et assurer la survie de la filière. On considère qu’il y a des changements à faire, notamment au niveau des semences, parce que c’est un élément important. Je pense qu’il faut qu’on puisse, avec les opérateurs, l’Isra, la Direction des semences et du matériel agricole (Disem), qui s’occupe du contrôle des semences au niveau du Ministère de l’Agriculture, regarder comment on pourrait avoir la production de semences, que ce soit d’arachide ou d’autres sur des espaces contrôlés, parce que c’est comme cela qu’on pourra savoir, en cas de faible rendement, l’origine du problème.

Ces deux ou trois dernières années, le budget de la campagne agricole est en constante hausse. Cette année, vous tablez sur combien ? 

Il y a deux ou trois ans, on était à 60 milliards de FCfa. C’était un grand bond. L’année dernière, on a augmenté à 80 milliards de FCfa. Donc, je pense qu’à ce niveau, vraiment, le Gouvernement a toujours montré ses dispositions pour augmenter les investissements qui vont dans le secteur agricole, notamment dans la filière arachide.  L’année dernière, nous avons, rien qu’au niveau des semences, fait une subvention de près de 14 milliards de FCfa. Et, très certainement, l’année prochaine, on pourrait aller à ce niveau voire un peu plus, parce que si c’est disponible sur le marché, nous visons un peu plus que les 57 000 tonnes de semences certifiées qu’on a données l’année dernière.

L’engrais est certes subventionné par le Gouvernement mais est devenu presque inaccessible pour les petits producteurs. Quelle initiative comptez-vous prendre pour une meilleure accessibilité de l’engrais à cette couche ? 

L’année dernière, il y a eu l’impact de la crise ukrainienne. L’engrais a d’abord augmenté au niveau mondial. L’urée qui venait de ces pays-là (l’Ukraine et la Russie) a connu une très forte hausse et malgré cela, l’État a augmenté non seulement le volume de subvention, mais ça n’a pas empêché les populations de sentir la cherté. Cette année, je pense qu’on devrait aller vers une légère baisse. Mais il faut aussi s’attendre à ce que les prix soient un peu élevés.

Vous allez subventionner combien de tonnes cette année ? 

Nous sommes en train de définir les besoins. Je pense que l’année dernière, nous étions à 150 000 tonnes d’engrais. Cette année, nous ne ferons pas moins que ça. C’est sûr. Ça dépend aussi de l’évolution du prix sur le marché, mais nous allons subventionner encore l’engrais pour permettre aux Sénégalais d’y accéder. Pour l’engrais organique, nous faisons des subventions de 80 % contre 40 à 50 % pour l’engrais chimique. Nous sommes en train de faire des efforts importants pour promouvoir le secteur engrais mais, encore une fois, en 2023, nous prévoyons de fortes subventions pour l’engrais et pour les semences d’arachides.

Récemment, vous avez réceptionné un lot d’engrais offert par le Maroc. Est-on autosuffisant en engrais avec les Ics ? 

Aujourd’hui, il faut dire la vérité, ce sont les Ics [Industries chimiques du Sénégal] qui produisent l’essentiel de l’engrais distribué dans le pays. Si les promoteurs commandent de l’engrais selon les formules, les Ics le produisent. Nous ne remettons pas en cause notre autosuffisance. C’est un don de 25 000 tonnes offert par le Maroc qui sera distribué très prochainement à ceux qui sont essentiellement dans la filière riz. Bref, les Ics ont contribué fortement à la production d’engrais distribués dans le pays.

Nous sommes théoriquement autosuffisants pour certains produits horticoles, notamment l’oignon, mais il se pose le problème des infrastructures de stockage. Quelle est votre feuille de route pour résoudre ce problème ? 

Effectivement, nous avons fait de grands bonds pour l’oignon et la pomme de terre. Pour la pomme de terre, nous ne sommes pas encore autosuffisants. Nous sommes à peu près à 9 mois de consommation sur l’année. En revanche, pour l’oignon, nous sommes théoriquement suffisants. Mais nous perdons une bonne partie de la production chaque année du fait, d’abord, de la non-transformation de l’oignon et du déficit d’infrastructures de stockage. Je pense que nous devons travailler à mettre en place de nouvelles variétés qu’on pourrait produire sur une bonne partie de l’année afin d’éviter que toute la production (240 000 tonnes) arrive au même moment sur le marché. Si on ne le fait pas sur l’année, qu’on le fasse au moins sur deux ou trois périodes sur l’année. Ça nous permettra de réguler l’entrée de la production sur le marché et de l’accompagner avec des infrastructures de stockage. Au niveau de l’État, le Président a volontairement engagé un programme qui, déjà, dans sa composition de stockage, comprend une centaine de magasins de stockage et vingt entrepôts frigorifiques qui seront installés dans les zones de production. Normalement, on doit bientôt lancer les travaux. Le Président de la République, comme je l’ai dit, va réceptionner le matériel agricole le 30 janvier. La première phase comprendra au moins 300 tracteurs. Le volet matériel de stockage suivra. Il y a déjà des privés qui ont eu des expériences réussies de stockage à qui les producteurs peuvent confier la conservation de leurs produits jusqu’à ce qu’ils en aient besoin. Donc, la réponse, objectivement, en ce qui concerne surtout l’oignon, c’est qu’il faut, à mon avis, utiliser d’autres variétés et également mettre en place un dispositif de stockage avec l’apport des privés.

Avec Le Soleil 

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