Un vaccin russe trop beau pour être vrai

Depuis le début, la Russie a opté pour la méthode accélérée…au point d’enjamber une étape cruciale.
CORONAVIRUS – Spoutnik V déjà en orbite? L’annonce par Vladimir Poutine de la sortie du tout premier vaccin contre le virus SARS-CoV-2 a surpris la communauté scientifique autant que le public et les chancelleries du monde entier. Berlin a par exemple mis en doute “sa qualité, son efficacité et sa sécurité”. Baptisé du nom du premier satellite artificiel, lancé par l’URSS en 1957, le vaccin de l’Institut Gamaleya a de quoi, en apparence, faire la fierté des autorités russes qui pariaient depuis des mois sur sa réussite.
Dans la course au traitement préventif où figurent des centaines de laboratoires, les scientifiques russes auraient ainsi emporté la mise, battant sur le fil les 27 autres candidats déjà en stade des essais cliniques…et tout particulièrement les cinq vaccins déjà en phase 3 de tests, la toute dernière étape avant la mise sur le marché.
Le procédé révélé est une double injection à vecteur viral: cette technologie développée dans les années 2010 utilise des virus vivants pour transporter son ADN dans les cellules du patient. Plusieurs laboratoires prestigieux, eux aussi dans la course à l’éradication du Covid-19, ont décidé de parier sur cette méthode à l’efficacité déjà prouvée: AstraZeneca en Grande-Bretagne, CanSino biological en Chine…ou l’Institut Pasteur en France. Mais il y a un problème.
Phase 3 inexistante pour Spoutnik V
Si l’on consulte la toute dernière liste, datée du 10 août, produite par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recensant les vaccins à l’essai dans le monde entier, on trouve cinq noms d’entreprises ayant lancé la fameuse phase 3: des tests cliniques sur des milliers d’individus, dont la durée ne peut être inférieure à plusieurs mois. Ces entreprises sont AstraZeneca, Sinovac, Sinopharm, Moderna, et Pfizer…l’institut Gamaleya n’en fait pas partie.
Et pour cause: pour Spoutnik V, la phase 3 n’aura pas lieu…ou plutôt, elle aura lieu en même temps que la commercialisation. En approuvant la mise sur le marché du vaccin, les autorités russes ont estimé par la voix du président Vladimir Poutine lui-même que “le vaccin marche très bien, donne une véritable immunité” et “a passé tous les contrôles nécessaires”. En conséquence, il sera mis à disposition des Russes, puis de pays étrangers qui l’ont déjà commandé, comme l’Arabie Saoudite.
Dans le même temps pourtant, le président du Fonds Direct d’Investissement russe (RDIF), qui finance largement les recherches, Kirill Dmitriev, a ainsi annoncé que la phase 3 des essais cliniques commençait “ce mercredi”, date à laquelle la distribution du vaccin va commencer…
“Coup médiatique”
Les premiers destinataires du vaccin feront donc office de sujets tests, comme l’a expliqué à l’agence de presse russe RIA Novosti le président de l’Institut Gamaleya, Alexander Ginsburg: la première vague de vaccination “sera équivalente à une phase 3 clinique, étant donné que les personnes traitées resteront sous notre supervision”. Nul ne sait aujourd’hui combien de doses seront produites pour cette “phase 3? déguisée en lancement commercial, ni quel type de contrôle sera exercé sur les patients.
Pourtant, “la phase 3 est essentielle” s”inquiète l’infectiologue canadien Isaac Bogoch. Elle sert à estimer l’efficacité du vaccin, mais aussi pour “identifier de potentiels effets secondaires rares”. À la fin du mois de juillet, lorsque Pfizer a annoncé la phase 3 de ses essais cliniques, c’est l’enrôlement de 30.000 personnes, réparties dans 120 sites, qui a été programmé. Rien de tout cela dans le cas russe, qui mélange essais cliniques et mise à disposition pour le grand public.
Un flou qui a déclenché l’irritation (prudente) de l’OMS, face à ce que beaucoup considèrent comme comme un “coup” médiatique. “La préqualification de tout vaccin passe par des procédés rigoureux” s’est ainsi permis Tarik Jasarevic, le porte-parole de l’Organisation, peu de temps après l’annonce russe. Il est vrai que depuis le début, le laboratoire russe s’est peu embarrassé du respect des règles habituelles.
Le flou ne s’arrête pas là
Lorsque Gamaleya a annoncé que son traitement était prêt pour la phase 1 clinique, au début du mois de juin, les autorités ont décidé d’appuyer un grand coup sur l’accélérateur. Au lieu de recruter des candidats, procédure parfois longue, l’armée russe a été mise à contribution pour fournir des cobayes. Une étape menée sur 40 patients, dont les résultats n’ont pas été publiés, avant que s’enclenche tout de suite après une phase 2 aux contours encore plus flous.
Comme le rapportait le site Bloomberg le 20 juillet dernier, on ne sait ni le nombre ni le nom des personnes ayant testé Spoutnik 2 durant la phase 2, mais le média évoque un système où des dizaines de Russes “ayant des contacts en haut lieu” ont pu bénéficier du traitement préventif. La fille de Vladimir Poutine qui s’est vu inoculer le virus, d’après son père, pourrait en faire partie. Sur cette procédure expresse, les données sont rares, au point que le fameux document de l’OMS qui ne fait pas figurer Gamaleya en phase 3 clinique…ne le fait pas non plus figurer en phase 2, mais en phase 1!
Pas de doute, le vaccin russe a donc été mis au point avec des méthodes qui sortent des sentiers battus et des précautions sanitaires habituelles. Au-delà de la question de l’efficacité de Spoutnik V, cette attitude pose un problème éthique pour Isaac Bogoch : “Je comprends que nous voulions tous un vaccin le plus vite possible. Mais nous ne pouvons pas prendre de raccourci.”
camou camara

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