Il y a dans les couloirs du pouvoir une tension feutrée qui ne demande qu’un mot de trop pour exploser au grand jour. Depuis quelques semaines, le couple politique le plus scruté du Sénégal avance sur une ligne de crête.
La scène de ce week-end l’a encore montré. À l’occasion des quatre ans du parti Awalé, son président, Dr Abdourahmane Diouf, a offert une tribune à ce que certains ont appelé les « alliés raisonnables ». Raison pour qui ? Et surtout, contre qui ?
Un détail a frappé les observateurs. Ceux qui se sont relayés au pupitre ont multiplié les clins d’oeil à l’endroit du chef de l’État Bassirou Diomaye Faye, encore silencieux, mais pas un mot, ou presque, sur le Premier ministre Ousmane Sonko. Un silence plus éloquent que mille discours. Les interventions les plus marquantes — celles d’une haute représentante du président et d’un conseiller spécial — ont toutes convergé vers la même idée : faire bloc autour de Diomaye. Sous-entendu bien sûr, celui qui accepte de partager le sommet de l’exécutif.
Le message, enveloppé dans la courtoisie politique, est limpide. La gouvernance doit se faire avec ceux qui acceptent le compromis, pas avec les « puristes de Pastef » qui voient toute négociation comme une capitulation.
Sonko, lui, ne se cache plus. Agacé, frontal, parfois incandescent. « Qu’on me laisse gouverner », a-t-il lâché, dénonçant un « manque d’autorité » dans ce pays. Les mots claquent comme une frontière qu’il veut tracer, lui d’un côté, les modérés de l’autre.
Les titres des journaux du jour ne s’y sont pas trompés : quelque chose se joue, de profond, sous les sourires officiels. Une bataille d’influence qui prend des airs de stratégie d’encerclement. On ne critique pas Sonko frontalement — trop risqué — mais on l’érode en douceur, par petites touches, en l’isolant. C’est de la politique pure, la vieille école sénégalaise, celle qui construit la loyauté en affaiblissant l’allié le plus turbulent.
L’ironie, c’est que cette coalition est née d’une fraternité forgée dans un contexte très particulier : la prison, les émeutes, le suffrage populaire arraché haut la main. Mais gouverner n’a jamais été prolonger le militantisme : c’est arbitrer, renoncer, composer. Et c’est souvent là que les leaders se séparent.
À mesure que Diomaye s’affirme président, Sonko se redécouvre chef de parti. Deux légitimités qui ne se superposent plus. Deux chemins qui pourraient cesser de se croiser.
Le Premier ministre promet un tournant : « Après le 8, rien ne sera comme avant. » Son « Terà meeting » de samedi dira s’il choisit l’apaisement ou la rupture. Mais une chose est sûre : le Sénégal regarde. Avec inquiétude, parfois avec espoir, toujours avec vigilance.
Car au-delà des jeux d’appareil, une vérité demeure : dans un pays qui n’a jamais été aussi exigeant envers ses dirigeants, la fracture au sommet pourrait devenir l’ennemi le plus redoutable de l’alternance qu’elle a portée au pouvoir.
Gouverner, c’est choisir. Et désormais, il va falloir choisir ensemble — ou assumer de se séparer.