Face au géant australien Woodside Energy, l’État sénégalais réclame 62,5 millions d’euros d’arriérés fiscaux. L’économiste Thomas Porcher, essayiste et chroniqueur dans différents médias, estime que le Sénégal est « dans son droit » et appelle à une remise en cause des contrats déséquilibrés signés par de nombreux pays africains. Pour lui, cette bataille illustre une volonté légitime de reprendre le contrôle sur les ressources nationales face à l’emprise persistante des multinationales.
Le bras de fer entre l’État sénégalais et le géant pétrolier australien Woodside Energy met en lumière les tensions croissantes entre pays africains producteurs de ressources naturelles et multinationales étrangères. L’économiste Thomas Porcher livre une analyse tranchée sur les enjeux d’un combat emblématique du rapport de force Nord-Sud.
Woodside Energy, l’arbitre et le pétrole sénégalais
Le ton est monté entre Dakar et Woodside Energy. L’administration fiscale sénégalaise réclame 62,5 millions d’euros à la compagnie australienne, principal exploitant du champ offshore de Sangomar. En retour, Woodside conteste tout arriéré d’impôts et a engagé une procédure d’arbitrage international.
Selon Le Monde, le litige prend racine dans une évolution du régime fiscal sénégalais. Woodside argue que les nouvelles exigences violent les clauses de stabilité contractuelle, qui protègent les investisseurs contre les changements juridiques ou fiscaux.
« Le Sénégal a entièrement raison, et il est dans son droit », affirme Thomas Porcher. « À partir du moment où un pays estime que le partage de la rente pétrolière est trop défavorable, il peut , et doit , chercher à renégocier. C’est ce qu’ont fait l’Argentine, la Libye, ou encore des pays du Golfe. »
Des contrats trop favorables aux compagnies étrangères
Pour l’économiste, cette affaire illustre une situation fréquente : des pays africains faiblement outillés négociant avec de puissants groupes disposant d’un avantage informationnel massif. « L’asymétrie est totale. La compagnie pétrolière connaît le sous-sol, le marché, les risques et les marges. Le pays, souvent, ne maîtrise ni le volume, ni le prix, ni les données techniques. »
Citant l’exemple de Sao Tomé-et-Principe, Porcher rappelle que certaines nations ont signé « parmi les pires contrats pétroliers de l’histoire » à cause de cette disparité. « C’est pour cela qu’aujourd’hui, un pays comme le Sénégal doit s’inspirer de ceux qui ont revu, voire nationalisé leurs ressources pour en tirer davantage de revenus. »
Des marges de manœuvre étouffées
Mais cette bataille s’inscrit dans un contexte plus large. Le Sénégal, comme beaucoup d’États africains, est sous forte pression financière. Le Monde souligne que la dette souveraine du pays a été dégradée, gelant des financements internationaux, notamment 1,8 milliard de dollars du FMI.
« Les marges sont faibles », commente Porcher. « L’État multiplie les audits et redressements fiscaux, pas seulement contre Woodside. Eiffage, Souma, plusieurs grands groupes passent sous les fourches caudines de l’administration. »
Pour lui, ces pratiques traduisent surtout « l’étau dans lequel l’Occident a placé les pays africains. On leur refuse l’accès facile aux financements, mais on continue de puiser dans leurs ressources. »
Un système international à rééquilibrer
La procédure lancée par Woodside devrait durer des années, devant les tribunaux du CIRDI à Washington. Une juridiction souvent critiquée pour sa partialité. « Ce sont des tribunaux supranationaux favorables aux investisseurs, rarement aux États. Même quand les États agissent pour des motifs nobles, comme financer l’éducation ou la santé, ils peuvent être condamnés. »
« La difficulté, c’est que tout est cadré par un système conçu par les pays riches », insiste Porcher. « Le FMI, la Banque mondiale, les grandes agences de notation, les banques… Toutes ces institutions servent d’abord les intérêts occidentaux. »
Une rente sans pouvoir de fixation
Autre difficulté majeure pour des pays comme le Sénégal : la volatilité du marché. « Le pétrole, c’est une rente dépendante d’un prix mondial que vous ne fixez pas. Quand vous êtes l’Arabie saoudite ou la Russie, vous avez un poids. Quand vous êtes le Congo, le Gabon ou le Sénégal, vous subissez », résume l’économiste.
Et les États ne contrôlent pas non plus les volumes de production. « Ce sont des compagnies privées qui décident. Elles ajustent leur production selon les prix, pas selon les besoins du pays hôte. Résultat : le pays ne maîtrise ni le prix, ni le volume, ni les paramètres des contrats de partage. »
Une stratégie d’émancipation nécessaire
Selon Porcher, les pays africains n’ont d’autre choix que de devenir plus offensifs. « Ce que fait le Sénégal est une stratégie logique. On a trop vu des multinationales engranger des bénéfices massifs pendant que les pays producteurs restaient pauvres. »
L’enjeu dépasse les simples recettes fiscales. « Il s’agit de souveraineté économique. Si l’Afrique veut sortir de sa dépendance et financer ses propres choix de développement, écoles, hôpitaux, infrastructures, elle doit maîtriser ses ressources. »
Et de conclure : « Le Sénégal, comme d’autres, est en train d’écrire un nouveau chapitre de l’histoire pétrolière africaine. Un chapitre dans lequel les peuples veulent, enfin, tirer bénéfice de ce qui est sous leurs pieds. »