Loin des cris de gloire et des revers politiques, une facette méconnue du passage aux affaires refait surface, révélant les avantages financiers dont bénéficient les ministres sénégalais même après leur départ du gouvernement. Une pratique bien établie, mais souvent ignorée, qui garantit un accompagnement financier de plusieurs millions de francs CFA à chaque ministre défenestré. La République, mère protectrice, ne lâche pas ses enfants, même une fois la fonction terminée.
Le « parachute doré » : Six mois de salaire après la sortie du gouvernement
Contrairement à une idée reçue, le départ d’un ministre n’est pas synonyme d’une coupure nette des émoluments. En réalité, tout membre du gouvernement conserve son salaire durant les six mois qui suivent son limogeage ou sa démission. Une sorte de « parachute doré », ou comme l’explique un ancien haut responsable de la solde : « L’objectif derrière, c’est de lui permettre, le temps de retrouver un nouvel emploi, de ne pas avoir une rupture. C’est une sorte d’accompagnement qui prend fin après les six mois. »
Pour des figures récemment remerciées comme Ousmane Diagne, Mountaga Diao, ou encore le Général Jean Baptiste Tine, cela signifie la pérennisation de leur salaire de ministre jusqu’en février. Une somme non négligeable quand on sait que le salaire mensuel d’un ministre avoisine les 2,9 millions de francs CFA, auxquels s’ajoute 1 million d’indemnité de logement, selon l’ex-ministre Abass Fall. Au total, ce sont donc 17,4 millions de francs CFA qui seront versés à chacun d’eux durant ce semestre post-gouvernemental.
L’affaire Thierno Alassane Sall : Quand la « générosité » dépasse les bornes
Cette pratique, bien qu’encadrée, n’est pas exempte de dérives, comme l’a illustré l’affaire Thierno Alassane Sall en 2018. L’ancien ministre de l’Énergie avait été accusé d’avoir perçu son salaire pendant neuf mois après son départ. Si Thierno Alassane Sall avait rapidement corrigé l’erreur, allant jusqu’à rembourser un surplus de 9,6 millions de francs CFA via un chèque au Trésor, l’incident avait mis en lumière la réalité de cet « accompagnement » et ses potentiels excès.
Une « philosophie » justifiée par la fonction
Mais pourquoi cette différence de traitement par rapport à d’autres hauts fonctionnaires ? « Pour les directeurs, c’est immédiat. Après la passation de services c’est fini. Mais pour le ministre c’est un peu normal puisque c’est lié à leur fonction. Car vous êtes obligés de tout lâcher et de vous consacrer exclusivement à la fonction. Vous quittez parfois un poste international ou privé. C’est un peu cela la philosophie », précise notre interlocuteur. Une justification qui souligne le caractère exclusif et exigeant de la fonction ministérielle.
Le Sénégal plus « généreux » que la France ?
Cette pratique n’est pas une spécificité sénégalaise. En France, par exemple, un dispositif similaire existe, encadré par l’ordonnance de 1958, qui prévoit une indemnité égale au traitement gouvernemental pendant trois mois, sauf si l’intéressé retrouve une activité rémunérée. Avec 9440 euros bruts versés durant trois mois, le modèle français est certes conséquent, mais le Sénégal se distingue par la durée de son « accompagnement », qui s’étend sur six mois.
Si cette « générosité républicaine » vise à faciliter la transition des ministres vers une nouvelle vie professionnelle, elle soulève des questions, notamment en période de contraintes budgétaires. Le débat sur l’optimisation des dépenses publiques, cher au nouveau régime, devra peut-être s’attaquer à ce « parachute doré » qui, s’il est légal, n’en est pas moins un privilège notoire.