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Le Coup de Théâtre d’Ousmane Sonko : Quand la franchise stratégique révèle les fissures d’un Pouvoir en construction

Dans le paysage politique sénégalais, rarement l’aveu public de tensions internes n’aura été manié avec une telle audace. La récente sortie d’Ousmane Sonko, Premier ministre au charisme incandescent, évoquant ouvertement une crise au sein de son propre parti et un supposé « déficit d’autorité » au sommet de l’État, n’est pas un simple dérapage. C’est une manœuvre politique d’une complexité rare, une franchise stratégique qui révèle, par sa singularité, les défis inhérents à une gouvernance bicéphale aux contours inédits.

Une Dyarchie Implicite Sous Haute Tension

Depuis l’avènement du duo Diomaye Faye – Ousmane Sonko à la magistrature suprême en 2024, le Sénégal navigue une configuration institutionnelle sans précédent. D’un côté, un Président de la République, garant de l’institution, se positionnant en « non-chef de parti ». De l’autre, un Premier ministre, fondateur et figure tutélaire d’un mouvement politique profondément ancré, dont le capital politique est le véritable socle du régime. Cette architecture, bien que constitutionnellement validée, charrie en son sein les germes d’une tension latente entre l’autorité formelle et la puissance politique réelle. La déclaration d’Ousmane Sonko, brisant le silence, lève le voile sur ces dynamiques souterraines, extériorisant des frictions jusqu’alors feutrées au sein de l’exécutif.

La Crise comme Outil : Quand Sonko Préeempte le Narratif

L’audace de reconnaître publiquement une « crise interne » au sein même du Pastef détonne dans une arène politique sénégalaise souvent opaque. Ce choix n’est pas anodin ; il s’apparente à une communication de crise inversée. En assumant la fragilité, Sonko préempte un discours qui aurait pu lui être imposé par les rumeurs, les fuites orchestrées ou les attaques insidieuses de l’opposition. Il reprend le contrôle du narratif, définissant les termes de la crise et conservant ainsi son image d’homme politique transparent, direct, et en phase avec les aspirations populaires. C’est une stratégie de maîtrise : nommer le mal pour mieux le circonscrire, et maintenir l’initiative.

Ce mouvement discursif n’est pas non plus dénué d’une volonté de re-centralisation de l’autorité politique. En pointant un « manque d’autorité » dans la conduite des affaires, Sonko opère un double jeu subtil : il formule une critique voilée, sans jamais nommer directement le Président Faye, et simultanément, réaffirme son statut de figure pivot du pouvoir. Il rappelle, implicitement mais fermement, que son leadership et son aura populaire constituent la véritable force motrice du régime. C’est une pression adroitement exercée sur le pôle présidentiel, sans pour autant briser la façade d’unité qui est vitale pour la stabilité du pouvoir.

Le Dilemme d’une Cohabitation Émotionnelle : Risque de Paralysie ?

Le tandem Diomaye-Sonko fonctionne comme une cohabitation de fait, mais sans les mécanismes formels de médiation que l’on observe dans d’autres systèmes. Si Diomaye Faye incarne la légitimité institutionnelle, il demeure, dans l’imaginaire collectif, « l’émanation » de Sonko. Ce flou artistique engendre un conflit symbolique profond : qui détient réellement les rênes du pouvoir ? À qui le peuple, impatient des réformes promises, doit-il s’identifier dans les arbitrages difficiles ?

La sortie du Premier ministre, en dénonçant les failles de l’autorité, met en lumière ce tiraillement existentiel : le passage périlleux d’une dynamique de conquête révolutionnaire à la froide rationalité de la gouvernance institutionnelle. Ce choc des réalités porte en lui des risques non négligeables. Une telle tension pourrait engendrer une double paralysie : celle de l’État, par peur de froisser des équilibres fragiles, et celle politique, où les clans internes hésiteraient sur leur allégeance principale, sapant l’efficacité de l’action publique.

Anticiper la Désillusion Populaire : La Posture du « Gardien du Cap »

En évoquant ces turbulences internes, Ousmane Sonko ne s’adresse pas qu’à la nomenclature de son parti. Il vise avant tout sa base militante et une opinion publique qui, après l’euphorie de la victoire, commence à manifester une certaine impatience face à la lenteur des changements. Plutôt que de subir le blâme de cette potentielle désillusion, il déplace la responsabilité vers les lourdeurs du système, l’inertie administrative, ou un supposé manque de leadership collectif.

L’objectif est limpide : repositionner sa posture comme celle du « gardien du cap », du « révolutionnaire lucide » qui, depuis la Primature, s’efforce de remettre l’exécutif sur les rails de ses engagements. C’est aussi un mécanisme de protection de sa légitimité future : en cas d’échec avéré du gouvernement, Sonko pourra arguer qu’il avait perçu les dérives et tenté d’y remédier, se parant ainsi d’une aura de prophète averti.

Fragilité ou Maturité Démocratique ? Le Débat est Ouvert

Cette sortie fracassante est à double tranchant. Elle pourrait être interprétée positivement comme un signe de vitalité démocratique interne, une rareté dans un contexte africain souvent marqué par un hyper-présidentialisme verrouillé. Voir un Premier ministre exprimer ses désaccords en public pourrait renforcer l’image d’un pouvoir pluraliste et transparent.

Cependant, l’effet négatif probable est qu’elle conforte l’idée d’une dyarchie conflictuelle, difficile à piloter, particulièrement face aux défis colossaux qui attendent le Sénégal : redressement économique, réforme en profondeur de la justice, et gestion des tensions sociales latentes. Pour l’opposition, c’est une brèche stratégique majeure, un boulevard pour alimenter la critique d’un pouvoir désorganisé, divisé, voire non préparé à la lourdeur de la gestion étatique.

Impératifs de Communication : Maîtriser l’Écho

La déclaration d’Ousmane Sonko ouvre un cycle de vulnérabilité narrative pour le régime. Pour éviter que cette « crise » ne dégénère en une guerre ouverte des récits, une stratégie de communication sophistiquée est impérative. Le Président Diomaye Faye devra impérativement réaffirmer son leadership, sans tomber dans le piège d’un conflit ouvert. Le gouvernement dans son ensemble devra faire preuve d’une coordination exemplaire dans la prise de décision, sous peine d’alimenter la perception d’un attelage à deux têtes.

Des actions clés s’imposent : un discours présidentiel unificateur, appelant au dépassement des egos pour un recentrage sur les priorités nationales ; une visibilité accrue de Sonko sur des sujets techniques et concrets, afin de diluer l’interprétation purement politique de sa sortie ; et surtout, un renforcement drastique de la cellule de communication stratégique, avec l’établissement d’une ligne claire sur les responsabilités de chaque pôle de pouvoir.

Conclusion : Un Pari Risqué pour l’Avenir du Régime

En définitive, Ousmane Sonko a, par cette sortie, pris un risque calculé. Il a choisi d’exposer ses désaccords pour mieux les cadrer, mais aussi pour sonder la résilience d’un pouvoir qu’il a largement contribué à porter. Il joue la carte de l’authenticité, du « révolutionnaire en action », mais aussi celle de l’alerte politique.

C’est une manœuvre fine, mais intrinsèquement dangereuse. Dans un contexte de très forte attente sociale, le peuple sénégalais ne se satisfera pas longtemps d’assister à des luttes internes, fussent-elles stratégiques. Il exige des résultats tangibles, des réformes concrètes, et une gouvernance efficace. Et si la perception d’une crise de leadership perdure, c’est la confiance même dans cette alternance, tant espérée, qui pourrait être, à terme, irrémédiablement remise en question. Le temps est aux actes, non aux diagnostics internes publics.

Aliou TOP 

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