Une affaire aux allures de bombe financière éclabousse la Senelec et la NSIA banque, sur fond de convention obscure et de jeu de garanties controversé. Le 16 juin, le quotidien Libération révèle que la NSIA banque a prélevé plus de 2,2 milliards de francs CFA sur le compte de la société nationale d’électricité du Sénégal, invoquant l’exécution d’une garantie signée en 2020. Une opération qui ravive les interrogations sur la gouvernance passée, met en lumière des pratiques contractuelles troubles, et propulse la Senelec dans une bataille judiciaire inédite contre un établissement bancaire.
Retour à la source : une convention problématique de 2020
Tout commence le 29 septembre 2020, lorsque l’ancienne direction de la Senelec paraphe une convention que Libération qualifie de « scandaleuse ». Par cet accord, la Senelec s’engage à garantir « le paiement à première demande de toute somme que le Cossuel devrait ou pourrait devoir à NSIA banque », dans la limite de 3,3 milliards de F CFA.
Derrière ce montage, un objectif affiché : permettre au Cossuel (Comité sénégalais pour la sécurité des usagers de l’électricité) de financer le démarrage de ses activités, notamment le contrôle et la certification des installations électriques domestiques et publiques.
Mais sur le fond, l’engagement soulève une question de taille : comment une entreprise publique, par ailleurs non directement bénéficiaire des fonds, peut-elle garantir une dette pour le compte d’un tiers sans contrepartie visible ni disposition légale claire ? Un montage qui aujourd’hui tourne au désastre financier.
Une garantie activée, 2,2 milliards prélevés sans préavis
Le non-remboursement par le Cossuel de ses engagements envers la NSIA banque — d’un montant de 2,2 milliards de F CFA — entraîne l’activation de la garantie signée par la Senelec. Résultat : la banque saisit directement et unilatéralement la somme sur les comptes de la société nationale.
Un prélèvement opéré au titre des « appels à garantie » et des « commissions trimestrielles », exécuté en toute légalité contractuelle mais à la légitimité morale et institutionnelle de plus en plus contestée. Car cette manœuvre fait peser une dette contractée par une entité tierce (le Cossuel) sur les épaules d’un opérateur public stratégique — au détriment de ses ressources et de ses obligations de service public.
La nouvelle direction contre-attaque : justice et clarification
La direction actuelle de la Senelec, qui n’a ni signé la convention ni validé le montage, refuse d’assumer passivement les conséquences de cette opération. Elle a engagé une action en justice contre NSIA banque, réclamant :
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L’annulation pure et simple de la garantie ;
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La restitution des fonds prélevés, soit 2,2 milliards F CFA ;
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La reconnaissance par le tribunal du caractère nul et non avenu de la convention signée en 2020.
Le dossier est désormais pendant devant le tribunal de commerce de Dakar, où il s’annonce particulièrement suivi, tant les enjeux dépassent le simple différend entre deux institutions. Il s’agit de savoir si une société publique peut, par le seul fait d’un contrat signé par une ancienne direction, être dépouillée de ses ressources sans mécanisme de contrôle parlementaire, gouvernemental ou judiciaire préalable.
Un scandale aux résonances institutionnelles profondes
Au-delà des aspects financiers, cette affaire pose une série de questions lourdes de conséquences :
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Quel contrôle sur les garanties et engagements financiers pris par les directions des entreprises publiques ?
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Quelle place pour le droit public et la transparence dans les rapports entre entités étatiques et banques privées ?
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Et surtout : qui paiera in fine ? Le Cossuel, la Senelec, ou les usagers de l’électricité ?
Le silence du Cossuel, principal responsable du non-remboursement, est assourdissant. Et l’on peine à comprendre pourquoi cette structure, censée veiller à la sécurité des installations électriques, s’est retrouvée au cœur d’un tel engrenage financier, sans déclencher l’alerte bien plus tôt.
Une affaire symptomatique de la gouvernance passée ?
Ce bras de fer entre la Senelec et la NSIA intervient dans un contexte où de nombreuses entités publiques redécouvrent, avec amertume, les décisions prises par les directions précédentes. Le Sénégal vit actuellement une période de réexamen des engagements financiers et des contrats hérités du passé. Dans ce climat, l’affaire de la garantie Senelec-NSIA fait figure d’exemple emblématique des dérives à corriger.
Transparence, redevabilité, et diligence contractuelle : voilà les maîtres-mots que cette affaire devrait imposer à l’avenir dans toute gestion de fonds publics. Car une garantie peut sembler un détail administratif… jusqu’à ce qu’elle coûte 2,2 milliards F CFA au contribuable.