Par une plume acérée et une rigueur juridique redoutable, le député Thierno Alassane Sall relance, avec des révélations troublantes, une affaire qui pourrait bien devenir l’un des plus gros scandales de gouvernance publique de l’ère post-Macky Sall. Au cœur du dossier : un marché d’électrification rurale attribué à l’espagnole AEE POWER EPC, un soupçon de violation du Code des assurances CIMA, des garanties financières douteuses délivrées par la SONAC, et un décaissement massif de fonds publics dans des conditions pour le moins opaques.
Une alerte parlementaire sur fond d’irrégularités financières présumées
Dans une question écrite adressée au ministre des Finances et du Budget, Thierno Alassane Sall, leader du parti La République des Valeurs/Réewum Ngor, expose les contours d’un marché public obtenu par AEE POWER Espagne par « offre spontanée ». Ce contrat, censé contribuer à l’électrification rurale dans plusieurs régions sénégalaises (Kaffrine, Kédougou, Louga, Saint-Louis et Tambacounda), pourrait bien cacher un vice de procédure particulièrement grave : la délivrance irrégulière de garanties d’assurance par la Société Nationale d’Assurance du Crédit et du Cautionnement (SONAC).
Selon le député, ces garanties — pourtant obligatoirement conditionnées par le paiement préalable des primes — auraient été émises sans que cette condition essentielle ne soit remplie. Un manquement qui, s’il est avéré, remettrait en question la validité juridique du processus et pourrait ouvrir la voie à des poursuites pénales.
56 millions d’euros décaissés sur la base de garanties contestées
Trois types de garanties sont en cause : une caution pour avance de démarrage, une caution pour dépenses engagées et une caution de bonne exécution. Montant global en jeu : 56 millions d’euros. Ces garanties, toutes émises le 18 mars 2024 par la SONAC, ont permis un décaissement immédiat par l’autorité contractante. Mais selon Thierno Alassane Sall, les primes correspondantes n’auraient été versées que postérieurement, en violation flagrante de l’article 13 du Code des Assurances de la CIMA et de l’article 7 des Conditions Particulières du contrat.
Le Code est pourtant clair : « La prise d’effet du contrat est subordonnée au paiement de la prime. Il est interdit aux entreprises d’assurance (…) de souscrire un contrat dont la prime n’est pas payée. » En d’autres termes, si la prime n’était pas réglée au moment de l’émission des garanties, celles-ci seraient non seulement nulles de droit mais pourraient aussi engager la responsabilité de la SONAC.
Silences inquiétants et interpellations officielles ignorées
Plus accablant encore : les multiples demandes de clarification adressées à la SONAC, par des institutions comme l’ARCOP (Autorité de Régulation des Commandes Publiques), la banque espagnole Santander — principal bailleur du projet — ou encore AEE POWER SENEGAL elle-même, seraient restées lettre morte. Une attitude jugée préoccupante par le parlementaire.
L’ARCOP, par exemple, a saisi la SONAC dès le 12 juillet 2024, exigeant dans un délai de 72 heures les preuves de paiement des primes. Aucune réponse formelle, à ce jour, n’a été enregistrée. La banque Santander, quant à elle, a manifesté ses préoccupations dès le 30 septembre 2024. Comment une société publique, supposée garante de la rigueur financière de l’État, peut-elle se permettre un tel silence face à des injonctions réglementaires ?
Un député en mode sentinelle de la transparence
En sa qualité de député, Thierno Alassane Sall se fonde sur l’article 92 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale pour exiger des réponses précises. Il interpelle directement l’autorité de tutelle de la SONAC — le ministre des Finances — et réclame la chronologie exacte des faits : date d’émission des garanties et date effective de perception des primes. Car au-delà du non-respect éventuel des procédures, c’est la protection des deniers publics et la crédibilité du système des marchés publics sénégalais qui sont en jeu.
En filigrane, c’est aussi la légitimité du dispositif d’électrification rurale qui vacille. Car si les fondements financiers d’un tel projet sont viciés, que vaut réellement la sincérité de son exécution ?
Une affaire qui fait tâche dans un contexte de rupture annoncée
Ces révélations tombent dans un contexte politique sensible. Le régime du président Diomaye Faye s’est engagé à rompre avec les pratiques opaques et les compromissions du passé. L’affaire ASER-AEE POWER pourrait donc devenir un test de cohérence pour l’exécutif actuel. La réaction du ministère des Finances sera scrutée avec attention, tout comme celle des organes de contrôle.
Dans un Sénégal avide de transparence et d’intégrité, le silence ne sera plus toléré comme réponse. Cette fois, les lignes rouges semblent franchies. Et Thierno Alassane Sall, en posant ses mots avec précision, place chacun face à ses responsabilités.
Car au bout de cette affaire, ce n’est pas seulement une société d’État ou un marché public qui est en cause. C’est l’État de droit lui-même qui est interrogé.
Mariata beye pour sunugal 24