Diamniadio, Sénégal – Depuis une semaine, le Centre international de conférence Abdou Diouf (CICAD) est le théâtre d’un exercice politique de première importance : le Dialogue national. Initié par les autorités, ce forum rassemble une diversité d’acteurs, des partis politiques à la société civile, dans l’ambition de refonder les bases d’une démocratie sénégalaise renouvelée. Si des avancées significatives ont pu être actées, l’exercice met également en lumière des divergences idéologiques profondes qui menacent l’harmonie du consensus.
Quatre Points d’Accord : Les Fondations d’une Démocratie Apaisée
Les discussions préliminaires, dont les échos parviennent des coulisses, révèlent l’émergence de quatre points d’accord majeurs, signes d’une volonté collective de moderniser le processus électoral et de pacifier le climat politique :
- L’adoption du bulletin unique : Cette réforme technique, mais hautement symbolique, répond à une demande de longue date des observateurs et d’une partie de l’opposition. Elle vise à simplifier le vote et à réduire drastiquement les risques de fraude électorale, renforçant ainsi la transparence et la crédibilité des scrutins.
- Le droit de vote des détenus en détention préventive : Cette décision résonne comme un geste d’apaisement significatif, particulièrement dans un contexte marqué par de nombreuses arrestations de figures de l’opposition. Elle garantit l’exercice d’un droit fondamental, même aux individus en attente de jugement.
- L’instauration d’un débat télévisé entre les finalistes de la présidentielle : Une première historique pour le Sénégal, cette mesure promet d’enrichir le débat démocratique en offrant aux citoyens une confrontation directe des programmes et des visions des futurs leaders.
- Le maintien des 21 jours de campagne électorale : Ce consensus reflète un équilibre jugé optimal entre la nécessité pour les candidats d’exposer leurs propositions et l’impératif de maintenir la sérénité du processus électoral, évitant ainsi des campagnes à rallonge potentiellement génératrices de tensions.
Les Lignes de Fracture : Quand les Visions s’Affrontent
Malgré ces convergences, le Dialogue national est loin d’être un chemin unanime. Quatre points de désaccord persistants cristallisent les tensions et révèlent des visions politiques fondamentalement divergentes :
- Le mode de désignation du chef de l’opposition : La majorité des participants privilégie l’attribution de ce statut au candidat arrivé deuxième à la présidentielle. Cependant, le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) maintient une position singulière, arguant que le titre devrait revenir au chef du parti classé deuxième aux élections législatives, reflétant une divergence profonde sur la légitimité du leadership de l’opposition.
- L’article 80 du Code pénal : Cet article, souvent brandi comme un instrument de répression politique, est au cœur d’une controverse majeure. Tandis que l’opposition appelle à sa suppression, Pastef, de manière surprenante, plaide pour son maintien. Cette position, bien que contre-intuitive pour un parti issu de l’opposition, s’inscrit dans une logique de renforcement des outils républicains, sous réserve d’un encadrement strict pour prévenir les dérives.
- Le cumul des mandats : Si la plupart des partis s’accordent sur le maintien du seul cumul député-maire, Pastef adopte une position plus radicale en militant pour une interdiction totale de toute fonction élective cumulée. Cette posture est en parfaite cohérence avec son discours anti-système et sa quête d’une rupture avec les pratiques politiques antérieures.
- La nature du régime politique : La pomme de discorde la plus significative demeure la nature du régime politique. Pastef persiste dans sa proposition d’un régime parlementaire, une option audacieuse qui rompt avec la tradition politique sénégalaise. Face à cela, l’ensemble des autres forces politiques, qu’elles soient de l’opposition ou de la majorité, maintient un attachement inébranlable au régime présidentiel, soulignant une divergence fondamentale sur l’architecture même de l’État.
Au-delà de ces huit points cardinaux, d’autres sujets sensibles demeurent en discussion, tels que le système de parrainage électoral, la rationalisation controversée du nombre de partis politiques, ou encore les promesses et les inquiétudes liées au vote électronique.
Ce Dialogue national, loin d’être un simple exercice de façade, se révèle être un révélateur poignant des failles structurelles du jeu politique sénégalais. Il est, en même temps, le témoignage d’une volonté partagée de refonder les règles du vivre-ensemble démocratique. L’ultime épreuve résidera dans la capacité des participants à transcender ces divergences pour accoucher d’un consensus suffisamment robuste, capable de se traduire en réformes durables et de garantir une transition démocratique apaisée et crédible.
Mariata Beye, pour Sunugal 24