Dr Massamb Gueye, écrivain : “Le suicide est en train de devenir une norme sociale en voie de banalisation”

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Dr Massamb Gueye, écrivain : “Le suicide est en train de devenir une norme sociale en voie de banalisation”
Chercheur, écrivain, conteur, poète et critique littéraire, Dr Massamba Gueye est surtout un intellectuel qui a une fine connaissance des cultures et traditions et réalités socio-politiques sénégalaises. Pour Seneweb, il commente l’actualité de la semaine marquée par des sujets qui lui tiennent à cœur : suicides, conflit en Casamance, et Forum de l’eau.
 
Les cas de suicide se multiplient au Sénégal, depuis quelques semaines. Dernier en date : un étudiant de l’UVS, retrouvé pendu à Pikine. Vous avez publié un texte pour sensibiliser sur ce phénomène. Pour vous, quelles en sont les causes profondes ? 
 
Le suicide n’est pas la solution à nos problèmes. Au contraire, il cause plus de problèmes à la communauté. Ce n’est pas une solution mais un problème ajouté à un autre problème. Il y a vraiment de quoi être très inquiet, en cette année 2022, du nombre récurrent de suicides et de meurtres abominables en cours, depuis quelque temps, au Sénégal. Toutes les tranches d’âge, toutes les catégories sociales : enseignants, imams, médecins, etc., sont touchées. Il est temps de prendre ce phénomène très au sérieux. Récemment, l’imam Dame Niang de la mosquée du village de Ndiobène Mbatar, à Louga, s’est suicidé sur le minaret. Un ancien émigré âgé de 30 ans, M. Lô, est mort par pendaison dans sa chambre. Un enseignant, B. Th, 28 ans, a été retrouvé pendu à un arbre à Djidinky Manjacque. A Jaxaay, Keur-Massar, Souleye Biaye âgé de 23 ans, a été retrouvé pendu à côté des escaliers … Face à cette situation, nous faisons comme si de rien n’était alors que la situation empire. 
Je pense qu’il nous faut reconvoquer les instances de conciliation de l’être avec soi-même et avec le groupe c’est à dire nos lieux de confidences qu’étaient les cercles nocturnes du « deyoo » (confession) thérapeutique.  Ces lieux où la Parole et l’Oreille s’échangeaient des secrets essentiels qu’on gardait au fond de l’âme et de la poitrine pour ne pas toucher la lame de fond du désespoir.  Nos espaces partagés entre personnes d’un même groupe d’initiation.  Les espaces où, en toute confiance, on déposait les secrets de nos âmes tourmentées dans le creux de l’oreille des personnes dignes de confiance qui nous en soulageaient. Il nous faut moins d’égoïsme.
 
On ne s’occupe pas trop de la santé mentale des Sénégalais tant qu’ils ne portent pas des haillons ou vadrouillent dans les rues”
 
Par ailleurs, ne néglige-t-on pas l’importance de la santé mentale au Sénégal ? 
 
On ne s’occupe pas trop de la santé mentale des Sénégalais tant qu’ils ne portent pas de haillons ou vadrouillent dans les rues. C’est rare de voir les gens bénéficier de suivi psychologique après un accident, une perte d’emploi, un divorce, une amputation etc. On ne soigne pas les gens qui souffrent mentalement, on les taxe de « blancs », on les juge. Les gens ont aussi honte de dire qu’ils souffrent et le suicide est entrain de devenir une norme sociale en voie de banalisation. 
 
“L’armée ne doit pas se montrer faible mais nous avons une armée intelligente qui saura épargner les populations”
L’actualité de la semaine a, encore, été marquée par les opérations militaires de l’armée sénégalaise en Casamance contre la faction du MFDC de Salif Sadio. L’armée, dans un communiqué mardi, a publié des informations montrant que cette campagne avait porté un sacré coup à la capacité de riposte des rebelles. Doit-on d’après vous persister dans cette voie militaire ou privilégier davantage la négociation, comme le préconisent certains ? 
 
Je suis un non violent mais l’armée sénégalaise sort d’une prise d’otage et se devait de réagir en tant que garant de l’intégrité territoriale. On ne saurait donc l’accuser de défendre le pays avec des stratégies conformes aux exigences de l’heure. Ce pays est un et doit rester indivisé. Pour négocier, il faut être deux. Depuis le début des années 80, plusieurs négociations ont eu lieu et les fondements de notre patrimoine ont même été convoqués en faisant appel au cousinage à plaisanterie pour faire du Sine le lieu de négociation entre l’Etat et les rebelles. La guerre ne sert personne et ne sert à rien mais l’exploitation impunie des forêts de la Casamance, les braquages sur les routes, le minage de certaines zones, sans compter le déplacement des populations, doivent cesser sans délai. L’armée ne doit pas se montrer faible mais nous avons une armée intelligente qui saura épargner les populations. 
 
Le 2 février, dernier, vous avez publié un texte dans lequel vous apportiez un soutien indéfectible à l’armée, après la diffusion d’images de soldats retenus en otage par Salif Sadio. Est-ce également une façon de rappeler que le conflit en Casamance doit être l’objet d’un consensus national total ? 
J’ai effectivement dit tout mon soutien à l’armée lors de la dernière prise d’otages et je réitère ce soutien. Je n’ai malheureusement pas fait l’armée mais je pense que tout citoyen sénégalais doit se sentir comme un soldat de réserve. Nous ne pouvons pas diffuser des images de propagandes de groupes violents qui disent être ennemis du Sénégal. Concernant cette crise déplorable dans cette belle région sud du Sénégal, nous devons passer ce cap et faire taire les armes en Casamance car, c’est un poumon économique et un condensé culturel pour nous tous.  Nous devons aller vers ce consensus national mais cela induit de neutraliser les bandits de grands chemins, les coupeurs de routes et les voleurs de bois qui tuent les forêts de notre chère Casamance de même que ceux qui minent le sol sénégalais. La paix n’a pas de prix et nous devons tout faire pour que la paix définitive revienne dans le cadre d’un consensus national honnête. 
 
Des ONG internationales ont alerté cette semaine sur la situation humanitaire sur place : populations déplacées, fermeture d’écoles, etc…Êtes-vous également sensible à ces préoccupations ? 
 
En tant qu’enseignant, je suis meurtri de voir des enfants sans école. En tant que Sénégalais, chaque fille ou fils de ce territoire qui meurt est une partie de moi-même qui meurt. Les déplacements de populations sont une catastrophe sociale, une destruction du Patrimoine culturel immatériel, et du tissu social. 
 
“L’eau a énormément d’influence sur l’Humain notamment dans sa  socialisation entre sacralité, quête, gestion et don de l’eau”
 
Sur un autre plan, s’est ouvert à Dakar cette semaine, le neuvième Forum mondial de l’eau. Une première en Afrique. Quelles retombées attendez-vous d’un tel évènement ? 
 
Le 9ème Forum mondial est une occasion exceptionnelle de promotion du Sénégal de son peuple. Au-delà de son impact dans la vie du monde, car c’est de cela qu’il s’agit, il y a la mise en synergie de l’ensemble des acteurs qui travaillent dans, avec et pour l’eau pour préparer l’avenir du monde.  Pour avoir dit le mot de bienvenue de façon artistique au nom du Sénégal, lors du spectacle d’ouverture, et pour avoir animé une conférence sur la place et les fonctions sociales de l’eau, dans le cadre des stands, le 23, j’ai constaté un engouement exceptionnel et une grande présence du monde des officiels jusqu’aux chercheurs sans compter les ONG. J’attends que ce forum soit celui des décisions fortes pour trouver une solution définitive à l’avenir de l’eau dans le monde avec un accès équitable à l’eau potable, une politique d’assainissement harmonisée, démocratique et universelle, un meilleur usage de l’eau dans l’alimentation à la place des boissons artificielles et une meilleure politique d’éducation à l’eau. 
 
Au-delà des questions liées à la fourniture ou l’assainissement, l’eau a également une fonction symbolique au Sénégal et en Afrique noire, plus généralement. Pouvez-vous évoquer cette dimension culturelle de l’eau ? 
 
L’Eau est une source de vie à protéger dans le patrimoine africain ! 
 
Les fonctions sociales de l’eau sont nombreuses : accueil, apaisement mental, purification des corps et des âmes, baptême, liant social, mesure de sociabilité, test pour un mariage etc.  Pour comprendre cela, il faut interroger la place de l’eau dans l’imaginaire Ouest africain notamment celui du Sénégal dans sa représentation et sa mythologie. Les fonctions de l’eau sont sociales, économiques, mystiques et religieuses. L’eau a énormément d’influence sur l’Humain notamment dans sa  socialisation entre sacralité, quête, gestion et don de l’eau.

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