Le populisme, concept aussi fascinant que controversé, continue de susciter des débats nourris dans les cercles intellectuels et politiques sénégalais. C’est dans ce cadre que le Dr Babacar Diop, enseignant-chercheur en philosophie et maire de la ville de Thiès, a livré une réflexion approfondie sur la nature du parti Pastef et sa relation au populisme, lors d’un débat organisé par Le Carrefour d’actualité au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti).
Pastef, un populisme sénégalais assumé ?
Selon Dr Diop, le parti Pastef – dirigé par Ousmane Sonko – s’inscrit pleinement dans une dynamique populiste. À ses yeux, le succès politique de ce mouvement repose sur une aspiration collective à un changement radical, cristallisée autour du rejet du « système ». Ce terme, désormais ancré dans le discours politique sénégalais, renvoie à une dénonciation vigoureuse de la classe politique dominante, jugée responsable de la reproduction d’un mode de gouvernance clientéliste, néolibéral et corrompu, quelles que soient les alternances.
Dans cette rhétorique, explique le maire de Thiès, le « système » devient le symbole d’une élite perçue comme détachée du vécu quotidien des citoyens : politiciens, technocrates, et acteurs économiques réunis dans une même catégorie accusée d’entretenir l’injustice sociale, la précarité des jeunes, la dégradation des services publics et l’endettement structurel du pays.
« C’est un discours qui oppose le “peuple pur” à l’“élite corrompue”, créant une fracture nette et radicale au cœur de la légitimité démocratique », analyse-t-il, soulignant la force mobilisatrice de cette dichotomie.
Populisme : menace ou opportunité démocratique ?
Revenant sur la thématique du débat, « Démocratie et populisme », Dr Diop insiste sur la nature ambivalente du populisme. Loin d’en faire une simple dérive autoritaire, il en reconnaît la puissance transformatrice : « Le populisme se présente initialement comme une force de démocratisation. Il remet en question l’ordre établi, donne la parole aux exclus, aux invisibles ou aux trahis par les élites. »
Pour le philosophe, ce type de discours ravive la souveraineté populaire et redonne sens à la participation citoyenne, en réinjectant dans l’espace public les préoccupations des marges souvent ignorées. Il contribue ainsi à réinterroger les fondements du contrat démocratique et les promesses non tenues de la République.
Toutefois, Dr Diop ne manque pas de formuler une mise en garde : si le populisme peut servir d’outil d’émancipation politique, il comporte aussi des risques de dérives, notamment lorsqu’il tend à délégitimer systématiquement les institutions ou à substituer la complexité du débat démocratique par des oppositions simplistes et manichéennes.
Vers une reconfiguration de la démocratie sénégalaise ?
L’analyse de Dr Babacar Diop invite donc à dépasser les caricatures pour interroger les ressorts profonds de la crise démocratique au Sénégal. Le populisme, en tant que symptôme, révèle une société en quête de justice, d’inclusion et de renouveau. Il interpelle la classe politique sur son incapacité à répondre aux attentes d’une jeunesse désabusée et d’une population de plus en plus exigeante.
En somme, la montée en puissance de Pastef ne serait pas tant une anomalie qu’un signal fort adressé au système en place. Un signal que la démocratie sénégalaise, si elle veut se réinventer, ne peut se permettre d’ignorer.