Par-delà les communiqués rassurants et les procédures feutrées, l’affaire SoftCare vient de franchir un seuil critique. Un enregistrement audio de six minutes, désormais au cœur des conversations dans les cercles administratifs et médiatiques, met en cause de lourdes dérives au sommet de la régulation sanitaire. Sa voix est celle de Moussa Diallo, directeur de l’Inspection, de la Surveillance du marché et des Vigilances à l’Agence de régulation pharmaceutique (ARP) — l’homme qui a conduit l’enquête sur des couches et serviettes hygiéniques soupçonnées d’avoir été fabriquées à partir de matières premières périmées.
Dans cet audio, authentifié par l’intéressé auprès de L’Observateur, l’inspecteur déroule un récit accablant : tentatives de corruption répétées, pressions hiérarchiques et manœuvres présumées pour étouffer un dossier devenu explosif.
Des valises d’argent et des rendez-vous discrets
Moussa Diallo affirme que des responsables de SoftCare se seraient présentés à son bureau à quatre reprises, « munis de valises remplies d’argent et de cadeaux ». À chaque fois, des propositions de rencontres « discrètes » — jusque dans des restaurants — lui auraient été faites, « au cas où [il] aurait d’autres demandes ». Il dit avoir tout refusé.
Souci de traçabilité à l’appui, l’inspecteur explique avoir exigé la présence de son assistante lors de ces échanges, rappelant que les caméras de surveillance de l’ARP pourraient corroborer ses déclarations. « Mon intégrité n’est pas à vendre. Il s’agit de la santé de nos femmes et de nos enfants », tranche-t-il dans l’enregistrement.
Un communiqué qui précède le rapport
Plus troublant encore, l’audio met en lumière une dissonance institutionnelle. Le 16 décembre, l’ARP publie un communiqué affirmant que les produits SoftCare, pourtant retirés du marché, étaient devenus conformes. Or, le rapport d’inspection incriminant l’entreprise — signé par les services de Moussa Diallo — n’est déposé que le lendemain, le 17 décembre.
« En tant que directeur de l’Inspection, c’est à moi de dire ce qui est conforme ou non », martèle l’inspecteur. « On ne peut pas déclarer une entreprise conforme avant même que le rapport d’inspection soit rédigé. » Il affirme avoir été sommé de retirer ses conclusions. Refus catégorique : « Je travaille pour la population, pas pour couvrir des irrégularités. »
Menaces et isolement
L’enregistrement évoque également des menaces émanant de sa hiérarchie. Sans entrer dans des détails, Moussa Diallo dit mesurer les risques mais se déclarer prêt à en assumer les conséquences. Une posture rare dans un environnement où la loyauté administrative se heurte souvent à l’exigence de transparence.
Contacté par L’Observateur pour authentifier l’audio, l’inspecteur a confirmé sans ambages : « Je confirme, c’est moi. » Il a également indiqué que le ministère de la Santé s’était saisi du dossier et avait commencé à auditionner les responsables concernés.
Un test pour l’État régulateur
Au-delà de SoftCare, l’affaire pose une question de fond : celle de la solidité de l’État régulateur face aux intérêts privés, et de la protection accordée aux lanceurs d’alerte lorsqu’ils touchent à des secteurs sensibles — ici, la santé des femmes et des enfants.
Si les faits rapportés dans l’audio restent à établir par les autorités compétentes, leur gravité impose une clarification rapide et publique. Transparence des procédures, publication des rapports, responsabilités hiérarchiques : autant de réponses attendues pour restaurer la confiance.
Dans un pays où la parole officielle pèse lourd, une voix interne vient de fissurer le mur. Reste à savoir si l’institution choisira de réparer la brèche — ou de la murer.
Mariata Beye pour sunugal 24