Présentée par les autorités comme un levier de redynamisation économique et de réponse aux fragilités sociales, la Loi de finances initiale (LFI) pour l’exercice 2026 apparaît, à l’analyse, moins comme une stratégie de transformation structurelle que comme une mise en scène comptable. Derrière la profusion d’agrégats macroéconomiques se dessine une incapacité persistante à s’attaquer aux maux profonds qui minent la société sénégalaise.
Des équilibres budgétaires flatteurs, une population sous contrainte
L’exécutif met en avant un budget ambitieux, avec des recettes projetées à 6 188,8 milliards FCFA et des dépenses culminant à 7 433,9 milliards FCFA, traduisant une hausse notable par rapport à 2025. Toutefois, cette progression repose essentiellement sur un alourdissement de la pression fiscale, désormais estimée à 23,2 % du PIB. Cette ponction accrue pèse lourdement sur les ménages et les acteurs économiques, sans amélioration tangible du niveau de vie. L’expansion budgétaire devient ainsi un exercice arithmétique déconnecté du vécu quotidien des citoyens.
Secteurs productifs : des priorités proclamées, des réalités ignorées
Malgré les discours officiels sur la relance par le Plan de redressement économique et social, la LFI 2026 ne consacre aucun tournant significatif en faveur de l’agriculture, de la pêche artisanale et de l’élevage. Les producteurs ruraux continuent de faire face à la flambée des intrants, à l’insécurité des revenus et à l’absence de politiques de valorisation durables. La croissance des recettes fiscales ne s’accompagne d’aucune dynamique réelle dans les zones rurales, où la pauvreté demeure structurelle.
Croissance économique : des chiffres sans emplois
Le gouvernement table sur un taux de croissance de 5 % en 2026. Mais cette projection repose davantage sur des anticipations fiscales que sur une économie réellement inclusive. Les jeunes, pourtant majoritaires dans la population, restent exclus du marché du travail, tandis que les PME subissent une fiscalité contraignante. Une croissance qui ne crée pas d’emplois décents compromet durablement la stabilité sociale et l’avenir national.
Éducation et formation : investir sans orienter
Si des enveloppes conséquentes sont officiellement allouées à l’éducation et à la formation, aucune vision claire n’explique comment ces dépenses permettront d’aligner les compétences produites sur les besoins réels de l’économie. Le pays continue de former des diplômés sans débouchés, faute d’une politique cohérente d’employabilité. L’absence de publication des conclusions issues des Assises nationales de l’emploi et de l’employabilité, tenues au CICAD de Diamniadio, alimente le doute sur la sincérité des réformes annoncées.
Santé et protection sociale : des budgets déconnectés du terrain
Dans un contexte marqué par l’insuffisance des plateaux techniques et l’accès inégal aux soins, la LFI 2026 ne propose aucune réforme de fond. Les allocations prévues améliorent l’apparence des tableaux budgétaires, mais la situation des patients et des populations vulnérables demeure inchangée. Une politique sociale qui soigne les chiffres plutôt que les citoyens perd toute légitimité morale.
Catastrophes naturelles : gérer l’urgence plutôt que prévenir
Les inondations récurrentes continuent de mettre en lumière l’absence d’une véritable stratégie de prévention, malgré l’inscription régulière de crédits budgétaires. Sans dispositifs opérationnels clairs, ces lignes financières restent inefficaces. Prévoir sans organiser l’intervention revient à exposer les populations à une vulnérabilité permanente.
Sécurité et cherté de la vie : entre promesses et contradictions
Face à la hausse continue des prix et aux défis sécuritaires, la LFI 2026 ne présente ni mécanisme crédible de régulation des marchés ni stratégie de sécurité de proximité. Si le professionnalisme des Forces de défense et de sécurité mérite reconnaissance, il demeure profondément préoccupant que, comme l’a récemment dénoncé à l’Assemblée nationale le député Thierno Alassane Sall, certaines unités n’aient pas perçu leur dotation alimentaire depuis le début du mois de décembre. Une telle situation révèle de graves dysfonctionnements institutionnels.
Dette et déficit : une charge reportée sur les citoyens
Avec un déficit budgétaire projeté à 5,37 % du PIB et un niveau d’endettement élevé, la LFI 2026 prolonge des déséquilibres structurels issus de plusieurs années de gouvernance peu transparente. L’augmentation des recettes se traduit essentiellement par une pression accrue sur les contribuables, sans amélioration proportionnelle des services publics. La réduction nominale du déficit ne saurait masquer la détérioration du pouvoir d’achat et des conditions de vie.
Conclusion
En définitive, la Loi de finances 2026 illustre le décalage persistant entre l’optimisme des indicateurs macroéconomiques et la dure réalité sociale. Elle valorise les équilibres comptables tout en négligeant les priorités essentielles : emploi, santé, sécurité alimentaire, éducation, pouvoir d’achat et justice sociale. Là où les Sénégalais vivent le chômage, la précarité et l’insécurité, l’État oppose des colonnes de chiffres. Une loi budgétaire qui amplifie les montants sans améliorer la vie des citoyens ne constitue pas une politique publique crédible, mais une illusion coûteuse, dont le peuple sénégalais supporte seul le prix.
Signé KALIDOU BÂ.
Étudiant en droit (ISDD)
Étudiant en Sciences Politiques (FSJP-UCAD)