Le massacre par l’armée française en 1944 au Sénégal de tirailleurs africains qui réclamaient leurs soldes a été « prémédité » et « camouflé », et son bilan est sans doute largement sous-estimé, dénonce un Livre blanc remis jeudi au président sénégalais, dont l’AFP a obtenu une copie en exclusivité. Ces tirailleurs originaires de plusieurs pays ouest-africains (Sénégal, Côte d’Ivoire, Guinée, Haute-Volta – devenue aujourd’hui le Burkina Faso), qui avaient été rapatriés après avoir combattu pour l’armée française en Europe lors de la Seconde guerre mondiale, réclamaient le paiement d’arriérés de soldes avant de rentrer chez eux. Le traumatisme lié à leur massacre est toujours vif au Sénégal et dans les autres pays concernés.
La tuerie « devait convaincre que l’ordre colonial ne pouvait être écorné par les effets émancipateurs de la (Seconde) guerre » mondiale sur les colonisés, affirme le comité de chercheurs auteurs de ce Livre blanc. C’est « la raison pour laquelle l’opération a été préméditée, minutieusement programmée et exécutée (…) dans des actions coordonnées », indiquent-ils. Selon le bilan des autorités coloniales françaises à l’époque, au moins 35 tirailleurs avaient été tués par des troupes coloniales et des gendarmes français, sur ordre d’officiers français, lors de ce massacre dans le camp de Thiaroye, près de Dakar, où ils étaient rassemblés.
Un bilan sans doute très largement sous-estimé, affirme le comité de chercheurs, pour qui les « estimations les plus crédibles avancent les chiffres de 300 à 400 » morts. « Dans les jours qui ont suivi le massacre, les autorités françaises ont tout fait pour (le) camoufler, elles ont modifié les registres de départ de Morlaix (port de départ en France) et d’arrivée à Dakar, le nombre de soldats présents à Thiaroye, les causes du rassemblement des tirailleurs… », affirme le rapport.
En avril 2024, les autorités sénégalaises, qui se réclament du souverainisme, avaient mis en place ce comité de chercheurs. En recevant jeudi le Livre blanc, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye l’a qualifié d' »étape décisive dans la réhabilitation de la vérité historique ». Au cours de fouilles archéologiques sans précédent ordonnées par l’État sénégalais et effectuées depuis début mai, des archéologues ont découvert des squelettes humains avec des balles dans le corps dans le cimetière de Thiaroye, avait appris l’AFP début juin de source proche du dossier.
Le corps français des « Tirailleurs sénégalais », créé sous le Second Empire français (1852-1870) et dissous dans les années 1960, rassemblait des militaires des anciennes colonies françaises d’Afrique, notamment des Sénégalais, des Soudanais (actuels Maliens), des Voltaïques (aujourd’hui Burkinabè) et des Ivoiriens. Le terme de « tirailleur sénégalais » a fini par désigner l’ensemble des soldats d’Afrique qui se battaient sous le drapeau français. Ils ont participé aux deux Guerres mondiales et aux guerres de décolonisation.