Le tribunal des flagrants délits de Dakar a été ce mardi le théâtre d’une audience aussi électrique qu’imprévisible, dans le cadre du procès intenté contre le journaliste-chroniqueur Bachir Serigne Cheikh Sarr Fofana, poursuivi pour diffusion de fausses nouvelles sur un marché public relatif à l’achat de véhicules pour l’Assemblée nationale.
Alors que les débats s’étaient engagés dans un calme relatif, un incident d’audience entre Me El Hadji Diouf, avocat de la défense, et le président de séance a brutalement fait monter la tension, poussant le juge à prononcer un renvoi immédiat de l’affaire au 16 juillet 2025, avant de se raviser quelques minutes plus tard, à la suite d’une suspension d’audience réclamée par les avocats pour « apaiser les esprits ».
Un revirement rare, qui en dit long sur la charge émotionnelle et politique d’un dossier désormais scruté bien au-delà des murs du tribunal.
Des accusations explosives, des propos assumés
À la barre, Bachir Fofana n’a pas fui ses responsabilités. Il a confirmé être l’auteur d’une déclaration selon laquelle Cheikh Guèye, arrêté dans une affaire de corruption impliquant l’ancien ministre Ismaïla Dior Fall, aurait remporté le marché controversé des véhicules de l’Assemblée nationale.
Une vidéo contenant ses propos a été projetée devant le tribunal. Interrogé sur la véracité de ses affirmations, Fofana a tenu à préciser :
« Au moment où je tenais ces déclarations, je les considérais comme vraies, sur la base d’une source qui ne m’a jamais trompé. J’ai même vérifié auprès de concessionnaires. »
Cependant, il a aussi nuancé sa position, affirmant avoir reçu depuis des informations contradictoires :
« Si cela s’avère exact, je suis prêt à faire un rectificatif. Ce marché était issu d’un appel d’offres restreint. »
Le juge, dubitatif, a demandé s’il maintenait ses propos initiaux. Fofana a répondu sobrement :
« Non, car d’autres informations les contredisent. »
Une défense virulente, un climat tendu
Mais c’est lors de l’interrogatoire mené par Me El Hadji Diouf que l’ambiance s’est envenimée. Le célèbre avocat a poussé son client à expliquer l’origine de ses informations. Bachir Fofana a alors révélé que ces dernières provenaient de codétenus de Cheikh Guèye à Rebeuss :
« C’est dans la chambre 48 que ses anciens codétenus m’ont confié qu’il se vantait d’avoir décroché ce marché. »
Des déclarations jugées peu orthodoxes, voire fragiles, par le président de séance, qui s’est montré visiblement agacé. L’insistance de Me Diouf à faire valoir ces éléments a déclenché un échange houleux avec le juge, provoquant l’incident.
Face à cette escalade verbale, le président a d’abord renvoyé l’affaire sans délai, suscitant la colère immédiate de la défense. Me El Hadji Amadou Sall, Me Moustapha Dieng, Me Aboubacry Barro, Me Pape Sène et plusieurs de leurs confrères ont dénoncé une décision « arbitraire » et « attentatoire aux droits de la défense ». Ils y ont vu un abus manifeste de pouvoir et un déni de justice.
Après une suspension de l’audience, la sérénité a partiellement été rétablie, et le procès a finalement repris, annulant de facto le renvoi initial.
Une affaire révélatrice d’un climat de tension autour de la liberté d’expression
Ce procès est suivi avec attention par la société civile et les professionnels des médias. Il pose de véritables questions sur les limites de la liberté d’informer, le statut des journalistes dans un contexte où les frontières entre information, opinion et rumeur deviennent poreuses.
Dans une société en mutation, où les réseaux sociaux accélèrent la diffusion d’informations non vérifiées, le cas Bachir Fofana cristallise les débats sur la responsabilité éditoriale et l’encadrement juridique des propos publics.
Mais au-delà du journaliste, c’est le fonctionnement de la justice lui-même qui interroge, lorsqu’un incident d’audience menace de faire dérailler un procès d’intérêt national.
Le rendez-vous est désormais fixé : le 16 juillet 2025, sauf nouveau rebondissement, la vérité judiciaire devra trancher entre la faute professionnelle et l’erreur de bonne foi, entre la liberté d’expression et l’infraction pénale.
En attendant, le tribunal de l’opinion, lui, a déjà rendu son verdict : le silence ne protège plus, mais parler peut coûter cher.
Mariata beye pour sunugal 24